À ce jour, la menace du Covid-19 semble se dissiper dans les pays
européens. Mais l’épidémie est très active dans d’autres régions du monde. Dans
le contexte actuel de forte incertitude scientifique et médicale, le plus
probable est que l’épidémie de Covid-19 reste présente durablement.
Face à la menace sanitaire, et suite à leur impréparation, les
gouvernements, dans l’hémisphère Nord notamment, ont mis en place des mesures
exceptionnelles. Plus de trois milliards de personnes ont été soumises à un
confinement partiel ou total. Aujourd’hui, la crise est caractérisée par la
gravité de la situation sanitaire, mais aussi par des conséquences économiques,
sociales et politiques. Perturbation de l’économie mondialisée, arrêt des
chaînes de production et d’approvisionnement, chômage, hausse de la précarité,
tensions politiques… : des répercussions qui pourraient s’aggraver lorsque
les politiques de soutien des États et des institutions internationales diminueront.
La crise du Covid-19 est-elle un
épisode brutal, mais passager, qui sera suivi d’un retour rapide à la « normale
» ? Où va-t-elle entraîner un ébranlement et une mutation de l’économie
mondiale, ainsi que des systèmes politiques et sociaux ?
L’association Futuribles International a poursuivi sa réflexion en vue de proposer des scénarios d’évolution de la crise dans les 18 prochains mois (horizon fin de l’année 2021), que ce soit au plan mondial, européen ou français.
Dans un premier temps, Futuribles retient des tendances ou incertitudes structurantes
- Le pic
pandémique mondial reste à venir, la circulation du virus est possible jusqu’en
2024
Contrôlée dans certaines aires géographiques, la pandémie progresse
dans le monde.
La disponibilité de vaccins ou de traitements efficaces dans les 18 mois
est incertaine. Le virus pourrait donc circuler de manière significative
jusqu’en 2024.
- La
stratégie radicale de confinement massif ne devrait pas être reconduite ; les
mesures de gestion sanitaire devraient donc être plus hétérogènes, et intégrer davantage
les dimensions économiques et sociales locales.
- Tous les
pays seront touchés par la crise économique, et des crises humanitaires de
grande ampleur sont très probables en Afrique, en Inde et dans des pays
voisins, ainsi qu’en Amérique du Sud. Des « sur-crises » sont à craindre dans certains
États ou régions (crise climatique et agricole, politique ou militaire). La
solidarité mondiale devrait alors être fortement interpellée.
- L’effondrement
de certains marchés internationaux et des chaînes de valeur mondiales engendre
un risque de crise systémique. Certains marchés pourraient ne pas reprendre à
l’horizon 2021, tourisme notamment. La chute du marché des hydrocarbures
fragilise le secteur bancaire et les opérateurs financiers. Une crise
financière systémique est possible en 2021.
- La
situation des États-Unis est très instable et source d’incertitudes
majeures.
Ils connaissent une situation sanitaire, mais aussi économique,
sociale et politique, inquiétante. Qu’en sera-t-il de la bonne tenue des
élections en novembre 2020, et de l’acceptation de leur résultat en cas de score
serré ? Sur le plan géopolitique, les Américains se retirent d’un certain
nombre d’institutions internationales et de zones de conflit.
Un affaiblissement durable des États-Unis aurait des impacts sur
divers registres.
- En Chine,
la situation semble, à ce jour, sous contrôle ; le pays pourrait s’imposer
comme un des leaders de la gestion du Covid-19. La Chine pourrait exercer une
emprise croissante sur l’élaboration de normes internationales dans les
domaines sanitaire, environnemental ou numérique, de même que par l’affirmation
de son emprise régionale.
- Il y aura
des tensions entre la volonté de renforcer les souverainetés nationales et
celle de relancer au plus vite l’économie mondiale.
- L’Union
européenne, au pied du mur, est à un tournant majeur de son histoire : vers
le délitement ou le fédéralisme ? L’avenir d’un possible fédéralisme européen devrait
pour partie se décider durant l’été 2020, et se cristalliser autour du débat
sur le plan de soutien et de relance proposé par la Commission européenne.
- Pour ce
qui concerne la France, les résurgences épidémiques dans des « clusters
critiques » sont très probables. Mais un nouveau confinement généralisé
semble peu crédible. La gestion des nouveaux foyers épidémiques nécessitera des
coordinations plus poussées entre acteurs, et des comportements individuels
très responsables. Une question centrale portera sur la protection des
personnes âgées, fragiles et en situation de grande précarité.
- La
gestion de la crise sanitaire a accentué la fracture générationnelle.
La gestion socialisée de la crise sanitaire a permis de préserver les
personnes les plus vulnérables et, d’abord les personnes âgées, qui n’ont par
ailleurs dans leur grande majorité pas souffert de perte de revenus pendant le confinement.
En revanche, les jeunes, confrontés à un risque moindre ont, souvent, subi de
plein fouet le choc économique, social, psychologique du confinement. Quelles
politiques pour une jeunesse fortement fragilisée ?
- Après la
période d’hibernation économique liée au confinement et les mesures de soutien
de l’État, la fragilité du tissu économique français pourrait susciter des
crises en cascade qui réinterrogeront la place de l’État dans l’économie. Quels
soutiens aux entreprises ? sous quelles conditions ? S’étant posé en soutien
de l’économie défaillante, l’État sera considéré comme responsable en cas de
crise économique importante.
- La crise
a provoqué la déstabilisation de plusieurs institutions publiques déjà
fragilisées (éducation, santé, justice, sécurité). Quelles sont leurs capacités
de renouvellement ?
- La
conjonction d’une précarité sociale accrue, d’un sentiment de non-équité
croissant, d’une défiance envers le politique peut conduire à un climat social
de plus en plus tendu.
- L’action
publique s’est adaptée sous contrainte et dans l’urgence : vers une refonte
de ses modalités autour de la proximité et des coopérations entre acteurs ?
- La crise
joue un rôle d’accélérateur des transformations des modes de vie. Va-t-on
vers un accroissement des départs des métropoles et une augmentation durable du
travail à distance ?
Au regard de ces constats et
perspectives, Futuribles propose quatre scénarios à l’échelle mondiale, trois à
l’échelle européenne et quatre à l’échelle française.
A l’échelle du monde
• Une nouvelle guerre froide
Accentuation des tensions sino-américaines.
Situation sanitaire sous contrôle dans les pays développés, moins dans
les autres.
D’où une structuration de zones
d’influence autour des deux « Grands ». Des institutions multilatérales de plus
en plus affaiblies. L’Union européenne contrainte de choisir son camp.
• Un monde multipolaire
Une situation sanitaire
durablement hétérogène à l’échelle mondiale. Un contexte troublé qui engendre
des perturbations majeures, durables du commerce mondial. Coopérations
économique et politique renforcées entre des pays aux situations sanitaires
comparables. Régionalisation des chaînes de valeur, atténuant la polarisation
du monde autour des tensions sinoaméricaines.
• Le retour aux affaires
Epidémie contrôlée grâce aux mesures sanitaires, traitements et vaccins.
Priorité à la relance de l’économie selon les modalités de l’avant-crise. Une
solidarité internationale s’organise pour aider les pays les plus en
difficulté. L’ordre international pré-crise se maintient.
La prise en compte collective des
enjeux sanitaires et écologiques est renforcée au sortir de la crise.
• Les âges sombres
Tous les indicateurs sont au
rouge. L’épidémie, non contrôlée à l’échelle internationale, entraîne une
situation sanitaire catastrophique. En réaction, les États se ferment et le commerce
international est profondément perturbé. Les chaînes d’approvisionnement sont
rompues, notamment dans l’agroalimentaire, d’où de nombreuses pénuries dans les
pays importateurs, particulièrement ceux dépendants de la rente pétrolière ou gazière.
Les crises sociales et humanitaires se multiplient dans un contexte de sauve
qui-peut généralisé.
Pour une Union
européenne à la croisée des chemins : un moment historique
• L’enlisement
Contexte sanitaire dégradé en
Europe, des résurgences de l’épidémie à l’automne 2020 et l’hiver 2021. Les
situations hétérogènes des pays les font privilégier l’intérêt national. Frontières
fermées, plan de relance proposé par la Commission qui n’est pas à la hauteur
des ambitions initiales, mouvements sociaux anti-européens et antisystèmes dans
de nombreux pays. Les divergences s’accentuent et sonnent le glas de l’Union.
• Des coopérations sélectives
Les pays européens, soumis à la
reprise de foyers épidémiques, réagissent en ordre dispersé. Mais, les États
membres les plus touchés par la crise et les plus désireux de maintenir une
coopération européenne, passent outre les oppositions de certains pour se
coordonner. Pas d’unanimité sur le plan de relance européen, mais l’Allemagne
et la France promeuvent la solidarité avec un cercle restreint de pays. Courant
2021, des plans de relance ciblés par secteurs se coordonnent : construction
aéronautique, filière automobile, industrie pharmaceutique et produits de
santé.
• Vers le fédéralisme
Approfondissement des coopérations au sein de l’UE. Des problématiques
inédites apparaissent pour l’Europe : homogénéiser les stratégies de gestion de
l’épidémie (périodes de confinement, ouverture des frontières, tests, etc.), soutenir
les pays moteurs les plus à risque pour éviter l’effondrement de tous. La
coordination sanitaire se met en place, et les frontières entre pays à
situations sanitaires similaires s’ouvrent à l’été 2020.
Pour l’économie, des plans sont
mis en œuvre, un fonds de relance commun, alimenté par un emprunt de la
Commission européenne sur les marchés financiers. La confiance dans les
institutions européennes s’en trouve renforcée. En parallèle, l’Union renforce
le fédéralisme, crée des taxes carbone et numérique à ses frontières, et
développe ainsi de nouvelles ressources.
Pour la France
• Dislocation
Epidémie présente en continu jusqu’à fin 2021, ce qui justifie des
mesures drastiques : confinements territorialisés, mesures de surveillance,
tests de dépistage, contraintes fortes aux déplacements, etc.
Après une année 2020 catastrophique, l’économie repart en dents de
scie en liens avec la situation sanitaire. Les entreprises flexibilisent au
maximum l’emploi.
La précarité s’accroît fortement.
Le sentiment d’injustice également. La politique de relance économique à tout
prix, sans priorité donnée ni au maintien du pouvoir d’achat ni à l’écologie
entraînent des mouvements de contestation radicaux et violents, qui peuvent s’unifier.
Face à ce climat, l’État de son côté renforce la gestion du maintien de
l’ordre.
• Sur le fil du rasoir : poursuite des tendances actuelles
L’épidémie, globalement contrôlée, ré émerge périodiquement ici ou là.
D’où des politiques sanitaires différenciées.
La priorité du gouvernement est à
la relance économique, selon des modalités classiques, des plans de soutiens
aux filières les plus touchées. La dimension écologique est quasi absente des
dispositifs ou reste cosmétique. Priorité au maintien de l’emploi, des revenus,
de la consommation. Certains secteurs (tourisme, aéronautique, etc.) souffrent
de la crise. Chute du PIB de 10 % à 12 % en 2020, reprise faible en 2021 (+ 4 %
à 6 %). Les ménages restent prudents. Climat social morose, des mouvements
sociaux peu structurés. On cherche avant tout à conserver ce qu’on a.
• Green New Deal
Sortie de crise par le haut. La
crise sanitaire devient une opportunité de s’engager dans une transition
écologique et sociale d’ampleur. La chute du PIB de 12 % à 15 % impose une
recomposition profonde du tissu économique. Plan de relance à l’automne 2020
pour favoriser une économie verte et durable. Des investissements publics massifs
programmés. Regain d’optimisme dans la population. Reconfigurations de l’action
publique au bénéfice de la coordination des acteurs locaux.
• Grandes dépressions
Scénario du repli. Situation sanitaire non stabilisée. Rebonds
épidémiques chroniques, débordements fréquents du système de soins. Des pans
économiques entiers sinistrés. Chute du PIB de 12 % à 15 % en 2020, stable en
2021. Faillites d’entreprise et explosion du chômage. L’économie informelle
devient un filet de sécurité essentiel.
Le climat social se délite : perte de confiance dans l’avenir, méfiance envers l’État, mécontentements divers (chômage, absence de transition écologique, etc.). État de plus en plus impuissant, le système de protection sociale est sous tension.