Le nombre de détenus dans les prisons françaises est en baisse par rapport au chiffre d’octobre 2019 (70.818) mais en augmentation par rapport au 1er janvier 2019 (70.059), avec 71.061 personnes incarcérées, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire publiés le 31 janvier 2020. Ainsi, 82.860 personnes étaient placées sous écrou, dont 12.209 sous surveillance électronique ou à l’extérieur.
Cette augmentation s’explique surtout par une forte hausse du nombre de personnes prévenues en détention ; elles représentent aujourd’hui 29,8% des personnes détenues.
Le nombre de personnes écrouées non détenues est en augmentation de 9,1% par rapport au 1er janvier 2019. Il y a une petite hausse du nombre de placements sous surveillance électronique (11.558) mais on est en dessous du chiffre de juillet 2019 : 11.615. Quant aux personnes en placement extérieur non hébergés, elles sont 651.
Pour finir, depuis le record de 894 mineurs détenus en juillet 2019, la baisse du nombre de mineurs écroués se poursuit avec 816 mineurs.
La densité carcérale, à 115,7 %, reste stable sur l’ensemble des Directions Interrégionales et des établissements.
Pour avoir l’ensemble des données chiffrées, rendez-vous sur le site du Ministère de la Justice en cliquant ici.
La mesure mensuelle de l’incarcération au 1er octobre 2018 est accessibleici.
Didier Fassin, né en 1955, est médecin, puis anthropologue et sociologue. Il est actuellement professeur de Sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’EHES. Après avoir d’abord étudié sur le terrain des questions d’ordre médical en Amérique du Sud ou en Afrique, il s’est tourné vers des questions sociales ou politiques. Sa préoccupation première porte sur les dimensions politiques de la santé (il étudie le Sida au Congo, la santé maternelle en Equateur, le saturnisme infantile en France). Les inégalités sont centrales dans ses réflexions, qu’elles soient présentes dans le domaine de la santé, puis dans la vie sociale (les politiques de la vie et comment on traite les êtres humains), ou dans le champ de la justice. Etudiant des questions morales qui prêtent à discussions, il cherche à replacer les évidences apparentes dans l’histoire en recherchant leurs ressorts politiques sous-jacents (travail sur la généalogie de la catégorie de victime par exemple). Sa démarche est le plus souvent fondée sur un principe : ne pas s’arrêter – comme on s’en contente trop souvent – aux évidences du monde social. Celles-ci sont souvent fausses et il est préférable de reprendre une certaine distance, cette distance que permet un travail empirique mené sur le terrain en contact avec les acteurs de ce terrain. Sa démarche allie donc toujours étude de terrain et réflexions mêlant le droit, la sociologie et la philosophie. C’est le cas notamment dans l’ouvrage étudié ici. Ses études sur la police, la justice et la prison s’attachent à chercher la dimension répressive du traitement des personnes vulnérables. Ses livres « La force de l’ordre » (2011) sur la police dans les quartiers populaires, et « L’Ombre du monde » (2017) sur la condition carcérale sont à ce titre, particulièrement significatifs. Présentant l’étude des pratiques des intervenants, ils font apparaitre que ces pratiques ne sont pas toujours conformes aux discours établis. Le livre « Punir, une passion contemporaine » réfléchit à partir de ces constats, aux « fondements de l’acte de punir » en alliant réflexion juridique, sociologique et philosophique. Il est issu de conférences données par D.Fassin à l’Université de Berkeley et qu’il a reprises ensuite pour fournir la matière de ce livre.
Constats
Le livre s’ouvre sur un constat : le nombre de détenus emprisonnés ne
cesse d’augmenter : 20 000 en 1955, 43 000 en 1985, près de 70 000 en 2015[1].
Le lecteur peut même compléter avec le nombre actuel : 71 828 au 1er Avril 2019[2].
Peut-on dire que ce phénomène est consécutif à une augmentation de la
criminalité ? Ça n’est pas le cas, puisque celle-ci a tendance à régresser
notamment dans ses manifestations les plus graves.
Sur ce point précis, il faut
noter que si l’auteur donne certes ses références qui sont objectives, on sait
bien que ce constat n’est pas partagé par nombre de nos concitoyens, ce qui
explique en bonne part la réussite du populisme pénal dont nous parle l’auteur
par ailleurs. D’où la nécessité de travailler l’argumentation pour la faire
mieux entendre qu’elle ne l’est souvent.
Quant à l’augmentation du nombre de détenus qui, elle, est
incontestée, et s’appuie sur les statistiques du Ministère de la Justice, on la
constate aussi dans de très nombreux pays et elle semble bien aujourd’hui
constituer la règle.
En fait, l’auteur nous l’explique : nous sommes actuellement dans un «
moment punitif »[3] encouragé par une sorte de populisme pénal
très en vogue reposant sur la conjonction d’une sensibilité accrue aux
incivilités et délits de la vie courante, et d’un discours politique très axé
sur les enjeux de sécurité. Si l’on comprend bien le sens général de la formule
et si on en ressent la validité, on regrettera que cette notion de populisme ne
soit creusée plus avant, quant à ses ressorts profonds, compte tenu du fossé
qu’elle contribue à établir entre la compréhension populaire majoritaire de la
question pénale et celle qui peut résulter de ce livre par exemple.
Le châtiment voulait être la solution au problème suscité par la
criminalité. Or on peut dire que, de solution, il est devenu maintenant le
problème. Problème, « il l’est à cause du nombre d’individus qu’il met à
l’écart ou place sous surveillance, à cause du prix qu’il fait payer à leurs
familles et leurs communautés, à cause du coût économique et humain qu’il
entraine pour la collectivité, à cause de la production et la reproduction
d’inégalités qu’il favorise, à cause de l’accroissement de la criminalité et de
l’insécurité qu’il génère, à cause enfin de la perte de légitimité qui résulte
de son application discriminatoire ou arbitraire. »[4]
C’est cela qui amène l’auteur – après avoir étudié la question sous la
forme d’études sur la police, la justice, la prison – à vouloir cette fois y
réfléchir de manière théorique en se
préoccupant maintenant « des fondements de l’acte de punir ».
Il procède donc à l’examen de
trois questions : Qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ?, qui
seront examinés dans le domaine de la justice institutionnelle, mais aussi dans
ceux de la police et du pénitentiaire.
Qu’est-ce que punir ?
D.Fassin part de la définition – généralement reconnue par les
juristes et les philosophes – donnée du châtiment en 1959 par un juriste et
philosophe anglais H.L.A. Hart : « Il doit impliquer une souffrance ou d’autres
conséquences normalement considérées comme désagréables ; il doit répondre à
une infraction contre des règles légales ; il doit s’appliquer à l’auteur réel
ou supposé de cette infraction ; il doit être administré intentionnellement par
des êtres humains autres que le contrevenant ; il doit être imposé par une
autorité instituée par le système légal contre lequel l’infraction a été
commise. »[5]
Il va ensuite s’appliquer à vérifier si aujourd’hui ces 5 critères
sont bien présents et respectés dans la réalité des faits, ceci à partir
d’exemples divers qu’il explicite et qui sont tirés de ses observations de
terrain. On s’aperçoit là que les choses sont beaucoup moins claires dans les
faits réels que dans la théorie, et que même les intervenants, policiers,
juges, ne perçoivent pas cet écart facilement, même en toute bonne foi. Par
exemple, des questions sont vite soulevées, comme celle de la frontière entre
punition et vengeance par exemple, ou celle de la réalité d’une équivalence du
dommage causé et de la douleur infligée en retour.
Sa conclusion au terme de cet examen de la présence dans les faits des
critères de LLA Hart : un seul critère peut être considéré comme toujours
présent : celui de la souffrance infligée. D.Fassin note au passage que cette
souffrance imposée est un fait relativement nouveau historiquement, qui a
succédé à la loi du talion d’abord, puis à celle de dette due à la victime et à
la société, et que cette souffrance imposée est lié à la moralisation inspirée
par le christianisme.
Cela le conduit à poser la question sous une autre forme : « Pourquoi
punit-on ? ».
Pourquoi punit-on ?
La théorie du droit distingue la définition du châtiment (qui se veut
neutre quant aux valeurs) et la justification de celui-ci (qui implique un
jugement moral). Dans la réalité, il parait bien difficile de s’en tenir à une
distinction claire, d’autant que l’on pourrait distinguer la justification
théorique posée par la loi, et la justification concrète a posteriori, celle du
juge ou du policier, et pourquoi pas ensuite celle de l’observateur extérieur.
Quant à la théorie, ou plutôt les théories de la justification de la
punition, puisqu’il en existe deux : une utilitariste, qui ne veut voir pris en
compte dans le choix du châtiment que l’intérêt de la société et qui est donc
tournée vers l’avenir, et l’autre rétributiviste, qui reste polarisée sur
l’acte commis et sa juste rétribution, et qui s’en tient au passé.
La première vise à, soit empêcher l’auteur de commettre son acte, soit
à le réformer en favorisant sa transformation, ou encore à offrir avec la peine
un exemple tel qu’il puisse dissuader d’autres de le commettre.
La seconde, apparait simple dans ses objectifs, elle ne vise qu’à
faire souffrir celui qui est coupable. Pour Kant par exemple : « La peine juridique ne peut jamais être considérée
simplement comme un moyen de réaliser un autre bien, soit pour le criminel
lui-même, soit pour la société civile, mais doit uniquement lui être infligée
pour la seule raison qu’il a commis un crime »[6] . En cela, elle ne suppose qu’une appréciation interne de sa cohérence morale,
puisqu’il ne s’agit que de choisir un mal équivalent à l’acte commis.
D .Fassin nous explique que ces deux théories apparemment
inconciliables, sont souvent mêlées même dans la théorie et que par exemple,
même les promoteurs du populisme pénal invoquent à la fois le caractère
dissuasif et la sanction méritée.
Pour ce qui le concerne, sa conclusion sur ce point est finalement
celle de Nietzsche « Il est impossible de dire aujourd’hui précisément pourquoi
l’on punit »[7].
Les exemples vécus qu’il cite ensuite, visent bien à montrer que les
décisions de justice sont plus complexes, et qu’il faudrait en fait examiner ce
que leurs auteurs pensent avoir pris en compte et ce que l’on serait tenté de
penser qu’ils ont en réalité pris en compte.
Et plus loin encore, ne
constate-t-on pas que le châtiment ne procède pas autant que l’on veut le
penser d’une logique rationnelle ? N’y a-t-il pas derrière, bien cachées,
d’autres aspirations moins honorables. Le pas ne risque-t-il pas d’être vite
franchi entre l’affirmation de Simone Weil (qui n’est pas citée là par
D.Fassin) « Comme on dit de l’apprenti qui s’est blessé que le métier lui entre
dans le corps, de même le châtiment est une méthode pour faire entrer la
justice dans l’âme du criminel par la souffrance de la chair »[8] et certaines conduites (dérivées ou non du
désir de vengeance) qui conduisent à la volonté de faire souffrir à laquelle
Nietzsche (cité lui par l’auteur) se réfère lorsqu’il parle de « la volupté de faire le mal pour le
plaisir de le faire » [9].
Qui punit-on ?
Mais tout ceci est moins impartial et juste que les théories
philosophiques et le droit ne veulent bien le dire, et on s’en aperçoit en
regardant de plus près la manière dont la loi s’applique.
Très vite la question se confond avec une autre : Que punit-on ? D.
Fassin rejoint là E.Durkheim qui remarquait : « il ne faut pas dire qu’un acte
froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel
parce qu’il froisse la conscience commune ».
L’auteur recourt là largement à ses études antérieures menées sur le
fonctionnement de la police et de la justice et il relève qu’en effet la
sanction ne se déploie pas uniformément dans le champ social, et que les
populations défavorisées se trouvent en final plus pénalisées que les autres.
Cela ne repose pas sur un plan murement réfléchi du législateur, mais sur le
choix effectif des faits qu’il va décider de punir. Ceux-ci sont de plus en
plus souvent ceux qu’une population défavorisée vivant dans des conditions
difficiles, exposée par son âge, son contexte de vie, sa situation au regard de
l’emploi, de la vie sociale, est exposée à commettre. S’y ajoute aussi le fait que l’attitude du
juge lors de sa prise de décision variera selon les garanties matérielles
présentées par l’auteur de l’acte.
Le résultat est bien là en tout
cas et nombre de situations rencontrées le démontrent, ce sont bien ces populations qui sont à
risque effectif de faire l’objet de poursuites et d’enchainement péjoratifs.
Bien au contraire on note la rareté des poursuites et la faiblesse des
sanctions en cas de délinquance économique et financière. On ajoutera
d’ailleurs, même si l’auteur ne le mentionne pas, la possibilité offerte de
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui constitue
clairement un privilège qui ne peut profiter qu’à des personnes appartenant à
une catégorie sociale favorisée dans son statut social, ses connaissances, et
plus proche de tous les types de pouvoir.
En conclusion
Voilà un ouvrage qui n’hésite pas à prendre de face une fausse évidence bien établie ; qui met en discussion une question sur laquelle nous vivons sans manifester aucun esprit critique, et sur laquelle nous acceptons d’être entretenus dans une sorte d’aveuglement. Les prisons sont surpeuplées : la solution est donc d’en construire de nouvelles. Seul vrai sujet de controverse : combien de places supplémentaires faut-il construire ?
Et nos acteurs politiques de donner des chiffres à la mesure du souci
qu’ils veulent afficher de la sécurité de leurs concitoyens….
Et pourtant, cette conception du châtiment n’en arrive-t-elle pas à
menacer l’ordre social ? « Censé
protéger la société du crime, le châtiment apparait de plus en plus comme ce
qui la menace »[10] . Le
coût de l’incarcération dans différents registres humain, social, économique,
tel qu’il est cité plus haut (supra p.4) devrait à lui seul faire réfléchir.
Des voix se sont déjà élevées, ont émis l’idée que d’autres formes de
sanction étaient possibles pour certains actes moins graves, ou que d’autres
formes d’accompagnement des auteurs étaient possibles ; mais leur portée est
restée bien limitée.
Voici donc un document fondé à la fois sur des faits et des
expériences, mais aussi sur une réflexion alliant droit, sociologie et philosophie.
C’est dans son caractère d’ouvrage étayant une vraie réflexion en profondeur
sur des constats effectués sur le terrain que réside la vraie nouveauté, et
c’est cette caractéristique qui dû lui donner un impact nouveau.
Force est de constater deux années après sa parution que le chemin qui
permettra de « repenser le châtiment »[11] reste à parcourir.
Le lecteur se pose au terme de la lecture une interrogation
primordiale : que faut-il pour que ces réflexions soient entendues pour donner
lieu enfin à un questionnement démocratique salutaire sur une question de cette
importance ?
On mentionnera un petit regret qui ne remet nullement en cause
l’intérêt majeur de cet ouvrage, celui que n’y soient pas abordées les
alternatives possibles à la détention proposées depuis assez peu de temps par
la législation, et qui sont en voie de développement – certes timide -, même si
on sait que ça n’était pas l’objectif premier de l’auteur, qui est sociologue
et anthropologue et non spécialiste de criminologie.
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