Étiquette : Fin de vie

Un nouveau prix de mémoire

Un nouveau prix de mémoire

Le 18 novembre 2024, le Comité exécutif de la Fondation a décerné ses prix de mémoire 2024. Parmi eux, le travail du docteur Maxime Lugosi, officiant à Grenoble (Isère), dans le cadre d’un diplôme universitaire « Philosophie et santé » co-accrédité par les Universités Jean Moulin Lyon 3 et Claude Bernard Lyon 1. Celui-ci nous présente en quelques lignes sa recherche intitulée : « Le jugement d’utilité dans les décisions d’arrêt ou de limitation de soins en réanimation. Etude de philosophie expérimentale ».

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la discipline de réanimation s’est développée en parallèle de techniques d’assistance d’organe, telle l’assistance ventilatoire ou l’assistance circulatoire, afin de prendre en charge des patients souffrant de défaillances d’organe pouvant entrainer leur décès. Le soin dans ces structures est principalement basé sur un modèle biomédical technicisé qui a permis une amélioration du pronostic des patients en termes de survie.
Suite à l’amélioration de ces techniques sont apparues des situations paradoxales où les personnes vivent au sens physiologique du terme mais dépendent pour cela de techniques lourdes qui ne leur permettent pas de vivre une vie « pleine » au sens de capacité à réaliser les possibilités que portent intrinsèquement une vie humaine. La réanimation n’a pas comme seul objectif de permettre une vie biologique en stabilisant des paramètres physiologiques, mais bien de permettre une vie au-delà de la réanimation. Les réanimateurs se retrouvent régulièrement devant ce dilemme : faut il poursuivre un traitement au prix de séquelles potentiellement lourdes ou d’être dépendant de techniques d’assistance ?
Les décès survenant en réanimation sont souvent le fait de limitation ou d’arrêt de soins, entendu comme la suspension ou la non mise en place d’un traitement, souvent à risque d’effet secondaire, qui ne permet pas d’obtenir les résultats escomptés.
Se pose alors la question de quels déterminants permettent une réflexion aboutissant à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements. Les données scientifiques, issues des études et utilisées dans le cadre de la médecine fondée sur les preuves, ne permettent pas d’apporter une réponse individualisée avec suffisamment de certitude. Par ailleurs, les choix qui peuvent être faits concernant ce qui est tolérable ou non, voulu ou non, sont dépendants de valeurs et préférences individuelles. En réanimation, l’état de santé du patient ne permet souvent pas d’avoir son avis sur ces décisions. La recherche des directives anticipées, d’une personne de confiance ou des proches sont des éléments à prendre en compte permettant de faire entendre la voix de la personne. Elles sont souvent insuffisantes ou inexistantes pour permettre de décider.
La loi prévoit que, dans les situations où la personne ne peut donner son avis alors qu’elle est atteinte d’une affection grave et incurable, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement jugé inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que de prolonger artificiellement la vie (Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie).
L’utilité d’un traitement serait jugée à l’aune des bénéfices qu’il procure au patient en évaluant la différence entre les effets positifs et négatifs qu’il entraine. Mais comment évaluer ces effets compte tenu de la double incertitude épistémique qui entoure ces situations ?
Il semble que l’intuition morale qui préside au jugement d’utilité et donc d’inutilité d’un traitement est en partie évaluée à la faveur de la qualité de vie attendue au décours de ce traitement. La qualité de vie serait une manière de représenter la différence des effets positifs et négatifs d’un traitement à la lumière des préférences, choix et valeurs d’une personne.

Nous avons mené une étude de philosophie expérimentale afin d’interroger cette intuition. Nous avons invité des médecins réanimateurs et non réanimateurs, en Isère, Savoie et Haute-Savoie, à juger de l’utilité d’un traitement, à partir de vignettes cliniques correspondant à des situations de dilemmes quant à la poursuite ou non d’un traitement.
Au total, 64 médecins ont participé dont 49 réanimateurs. Le jugement d’utilité apparait corrélé avec la notion de poursuivre ou non le traitement. Le jugement d’utilité n’était pour autant pas corrélé à la survie estimée du patient. La survie dans ces situations n’apparaissait donc pas comme une justification suffisante à la poursuite ou non d’un traitement. Des différences ont été notées entre les réanimateurs et les non réanimateurs concernant les corrélations entre le jugement d’utilité et l’estimation de la qualité de vie après la réanimation : le jugement d’utilité est plus fortement corrélé à l’estimation de la qualité de vie après la réanimation chez les réanimateurs que chez les non réanimateurs. Ainsi, la qualité de vie, bien qu’associée à la notion d’utilité d’un traitement, ne permet pas d’englober totalement cette notion et prend une place différente selon les spécialités.
Cette étude ne permet pas d’explorer d’autres éléments qui permettraient de juger de l’utilité d’un traitement, ni de comprendre la différence entre les différents groupes de médecins.
Ainsi, la notion d’utilité d’un traitement semble avoir un caractère opérationnel dans le fait de décider d’arrêter ou de poursuivre un traitement. Ce jugement ne semble pas reposer uniquement sur l’objectif de la survie du patient : il semble prendre en compte une vie au-delà d’une simple vie biologique, une vie permettant de déployer des possibles. Il semblerait que le corps médical n’ait pas une vision homogène de la manière d’évaluer l’utilité individuelle notamment dans les situations où la voix de la personne est inaudible. L’estimation de la qualité de vie ne rend compte que partiellement de la notion d’utilité que l’on attribue à un traitement.
Cela pose la question de la possibilité de juger, par qui et à partir de quoi de l’intérêt d’une vie même si celle-ci est diminuée à son extrême. Comment le principe d’autonomie, valorisé par les dernières lois sur la fin de vie, pourrait aider les médecins à apporter une décision la plus proche d’une volonté singulière compte tenu des contraintes des situations en réanimation ?

Pour prolonger la réflexion sur la fin de vie…

Pour prolonger la réflexion sur la fin de vie…

Dans la suite de la table-ronde sur la fin de vie organisée en visio-conférence par la Fondation Après-Tout, nous vous invitons à prendre connaissance, d’une part, du tout récent rapport de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et, d’autre part, de du Conseil permanent des évêques de France réunis à Lourdes.

Il s’agit du Rapport d’information déposé en application de l’article 145-7 alinéa 3 du règlement, par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (Mme Caroline Fiat et M. Didier Martin) rendu public le 29 mars 2023 et consultable en ligne :

Cliquez pour consulter et télécharger le rapport

Par ailleurs, réunis à Lourdes, les évêques du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France ont voulu exprimer l’attention avec laquelle ils suivent le débat en cours sur le juste accompagnement de la fin de vie dans notre pays à travers une déclaration : L’aide active à vivre, un engagement de fraternité.

Cliquez pour lire et télécharger la déclaration

Vous pouvez continuer à vous informer en lisant l’article régulièrement mis à jour par les responsables du site « Vie publique » : Bioéthique : quelle prise en charge de la fin de vie ?

La Fondation espère mettre sans tarder en ligne la visio-conférence du 30 mars 2023.

Un point sur la question de la fin de vie

Un point sur la question de la fin de vie

La question de la fin de vie fait actuellement l’objet des préoccupations des pouvoirs publics et de divers acteurs sociaux, et l’actuel Président de la République avait lui-même inscrit la perspective d’une évolution législative dans ce domaine parmi ses 60 engagements de campagne.

En fait, l’extrême sensibilité du sujet, et la nécessité de préparer l’opinion à une évolution jugée très souhaitable par beaucoup mais dont les contours étaient loin de faire le consensus, ont justifié une préparation soutenue et prudente malgré un contexte d’affaires difficiles dans ce domaine. Après une apparente stagnation des réflexions, on a vu les choses s’activer plus récemment :

  • d’abord avec l’élaboration par le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) d’un rapport en date du 21 Octobre 2014. Ce Comité – après avoir été amené à fournir dans les années passées divers avis sur des questions éthiques relatives à la fin de vie – a préparé ce rapport qui fait suite à la prolongation de la réflexion et du débat public qu’il avait proposé et qui a reposé sur la conférence des citoyens telle qu’elle était prévue par la loi bioéthique de 2011, ainsi que des débats animés par les Espaces régionaux de réflexion éthique, et des contributions de diverses instances, colloques, …. C’est donc cette fois, non pas un avis qu’a donné cette instance, mais un rapport de synthèse sur l’opinion dans ce domaine, avec à la fois des points de convergences, et des recommandations qui peuvent en découler, mais aussi des divergences, et des questionnements qui demeurent toujours présents.
  • Et enfin avec la remise le 14 Décembre 2014 au Président de la République du Rapport de présentation d’une proposition de loi émanant de deux parlementaires, Mrs. Alain Claeys et Jean Léonetti.

QUELLES ÉTAIENT LES CONCLUSIONS DE CE RAPPORT DU CCNE ?

On citera d’abord des observations de contexte qui figurent dans ce rapport :

« Les conditions de la mort sont probablement l’une des conséquences les plus importantes et les plus insupportables de l’inégalité sociale. » (1)

« La question de la fin de vie renvoie enfin à des questions plus larges : celle du coût de la santé et des contraintes économiques, celle de la solidarité entre les générations, celle du regard social sur le vieillissement que ce soit le jeunisme effréné de la société, la dévalorisation du grand âge ou la perte de la valeur de l’expérience. » (2)

Des convergences sont mises en avant : d’abord, sur l’ensemble « un constat accablant »

• Un non-respect du droit d’accéder à des soins palliatifs pour l’immense majorité des personnes en fin de vie. Seules 20% des personnes qui devraient accéder aux soins palliatifs, en bénéficient, et les structures en cause sont inégalement réparties sur le territoire. D’où le sentiment partagé par les professionnels de soins d’une fin de vie insupportable pour une très grande majorité des personnes.

• La volonté des personnes d’être entendues et respectées. La loi du 22/04/2005 relative aux droits des patients et à la fin de vie est perçue comme définissant davantage les devoirs des soignants que les droits des personnes malades : par exemple, les directives anticipées sont considérées par la loi comme des souhaits émis par les patients, alors que les décisions finales restent toujours du ressort du médecin.

• Une méconnaissance par les citoyens en général, mais aussi par une « proportion significative des professionnels de santé », et en conséquence une non-application finale des dispositions légales qui garantissent les droits des personnes malades en fin de vie ; ceci apparait comme étant le résultat d’un engagement très insuffisant des acteurs concernés pour faire connaître et faire respecter les droits des personnes en fin de vie.

• Une organisation inappropriée du système de santé. En 2008, 58 % des décès se sont produits à l’hôpital, 27 % à domicile et 11 % en maison de retraite. Pourtant, tous les sondages montrent que les Français souhaiteraient très majoritairement finir leur vie à leur domicile. D’après l’observatoire national de la fin de vie, 8 000 personnes en provenance d’EHPAD décèdent chaque année dans les heures qui suivent leur admission au service des urgences des hôpitaux. Plus de 90 000 personnes meurent chaque année dans les EHPAD (3). Mais seulement 8% des EHPAD font appel à l’HAD (4) quand elles constatent des situations de fin de vie.

• Un manque de formation des médecins et des soignants aux soins palliatifs.

Des recommandations sont partagées par un grand nombre de partenaires

On pourrait les regrouper sous un grand principe formulé par la Commission de réflexion sur la fin de vie : « Avant tout, l’impératif du respect de la parole du malade et de son autonomie. »

Il s’agit de :

• Mettre fin à ce que le CCNE a qualifié dans son rapport de « scandale », qui dure depuis 15 ans : le non accès aux droits reconnus par les lois

• Développer les soins palliatifs, et la formation des médecins et des soignants

• Donner accès à un accompagnement et aux soins palliatifs en amont de la fin de vie, et développer une « culture » médicale et soignante conjuguant « curatif » et « palliatif »

• Développer l’information concernant les directives anticipées et la personne de confiance

• Faire en sorte que les directives anticipées soient consultables par les soignants

• Mieux répartir les ressources économiques et humaines

Particulièrement, on aboutit à une demande partagée que deux droits soient maintenant affirmés :

• Que les directives anticipées établies par le malade soient désormais rendues contraignantes

• Que les patients aient accès, en phase terminale, à une sédation profonde jusqu’au décès

Pour ces demandes partagées, mais pas toujours unanimes, un certain nombre de points demeurent toutefois en débat, et particulièrement les modalités de la sédation profonde, en phase terminale, jusqu’au décès, et le caractère contraignant des directives anticipées en fonction de la situation de la personne au moment où elle les a rédigées.

Restera la question de la situation de la personne « dans une phase avancée (mais non terminale) d’une affection grave et incurable », « hors d’état d’exprimer sa volonté », et qui n’a pas rédigé de directives anticipées. Des clivages demeurent sur les questions de l’assistance au suicide et de l’euthanasie demandées par certains pour des situations extrêmement différentes, et totalement refusés par d’autres.

Il est recommandé que tout ceci soit prolongé par un approfondissement de la réflexion sur les enjeux éthiques propres à ces points dont il convient de prendre la mesure de la complexité, avec notamment la pluralité des points de vue philosophiques implicites ou explicites.

QUE PROPOSE MAINTENANT LE RAPPORT PARLEMENTAIRE DE MRS. CLAEYS ET LEONETTI ?

Plusieurs articles de la proposition de loi visent d’abord à affirmer les droits des malades en fin de vie et les devoirs des médecins à l’égard de ces patients.

En premier lieu : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour satisfaire ce droit ».

Ensuite, l’affirmation formelle du droit du malade à un refus de traitement et le rappel des mesures à prendre dans ce cas.

Par ailleurs, des précisions sont apportées sur des points qui, à l’expérience apparaissent trop incertains (le statut de la personne de confiance, le fait que nutrition et hydratation artificielles constituent un traitement).

On trouve aussi deux nouveautés réelles :

La reconnaissance d’un droit à la sédation profonde et continue à la demande du patient accompagnant l’arrêt de traitement.

Ce droit à la sédation provoquant une altération profonde et continue de la vigilance, selon la terminologie médicale, il aura vocation à s’appliquer à la demande du patient conscient dans deux hypothèses :

• Lorsque celui-ci est atteint d’une affection grave et incurable avec un pronostic vital engagé à court terme, et qu’il présente une souffrance réfractaire au traitement.

• Lorsqu’atteint d’une affection grave et incurable, il a décidé d’arrêter un traitement de maintien en vie, et que cet arrêt engage son pronostic vital à court terme.

Par ailleurs, le médecin recourt à cette sédation si le patient ne peut plus exprimer sa volonté et s’il se trouve dans un des cas d’obstination déraisonnable prévus par la proposition de loi. La mise en place de la sédation devra respecter la procédure définie par le code de déontologie médicale et être inscrite dans le dossier médical du patient.

Le renforcement de la portée des directives anticipées.

Jusque-là seulement l’expression d’un souhait, il est prévu qu’elles deviendront vraiment des directives et s’imposeront au médecin, sauf cas limitativement énumérés par la loi. Le médecin en charge du patient ne pourra déroger à la volonté de celui-ci que si les directives anticipées sont manifestement inappropriées, et ce après consultation d’un confrère. Leur durée dans le temps ne sera plus limitée.

Il est souhaité que ces directives soient rédigées selon un modèle fixé par décret en Conseil d’Etat après avis de la Haute Autorité de Santé ; il importe en effet qu’elles soient opérationnelles pour les professionnels de santé. Afin qu’elles soient plus diffusées, il est suggéré de les inscrire sur la carte vitale des assurés sociaux. Ce même décret précisera les conditions d’information, de validité, de confidentialité et de conservation de ces directives.

A noter que la hiérarchie des modes d’expression de la volonté du patient sera précisée en prévoyant qu’en l’absence de directives anticipées, ce soit la personne de confiance qui sera consultée en premier.

Les suites données ou à venir

• A ce jour, un débat sans vote a eu lieu sur ce sujet à l’Assemblée nationale en Janvier

• Le texte de cette proposition de loi devrait être soumis au Parlement lors d‘une toute prochaine session.

Notes

1. Commission de réflexion sur la fin de vie

2. Conférence de citoyens sur la fin de vie

3. Etablissements d’Hébergement de Personnes Agées Dépendantes

4. Hospitalisation à Domicile

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