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Du consentement aux soins chez les personnes en situation de handicap mental

Du consentement aux soins chez les personnes en situation de handicap mental

Chaque année, depuis 2014, la Fondation Après-Tout, après délibération du jury du Diplôme Inter-Universitaire « Éthique en Santé » organisé par l’Espace de Réflexion éthique Auvergne-Rhône-Alpes, décerne un, deux ou trois Prix de mémoire sur les critères suivants : qualité de la recherche éthique, retombées collectives du travail et valorisation du mémoire par un article ou une présentation dans un congrès.

Pour cette année 2020, deux prix ont été décernés.

La lauréate

Marie-Laure Chantalou a été de 2013 à 2020 médecin coordonnateur dans deux EHPAD dont l’un est spécialisé dans l’accueil et l’accompagnement de personnes handicapées vieillissantes, en Isère.

Cette expérience en EHPAD lui a donné le désir de faire une formation en éthique et elle a suivi la formation du Diplôme Inter-Universitaire « Ethique en santé ».

Le 10 septembre 2020, elle a soutenu son mémoire intitulé : « Du consentement aux soins chez les personnes en situation de handicap mental ».

Une réflexion pertinente

L’intérêt du travail de Marie-Laure Chantalou est de proposer une réflexion sur la question suivante : « Dans quelle mesure, pour des personnes porteuses de handicap mental placées sous protection d’un mandataire de justice, le consentement aux soins peut-il être totalement éclairé et réellement libre, notamment dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire lié à la Covid-19 ? ».

Cette réflexion repose à la fois sur les entretiens avec trois résidents de l’EHPAD classés en GIR 2, confrontés, ainsi que les soignants, à une proposition de traitement chirurgical pour l’un, à un parcours long et complexe de traitement de cancer pour l’autre et à un traitement chaotique du fait de la crise sanitaire pour le troisième, et sur une analyse bibliographique. La vulnérabilité des patients entre en résonance avec celle des soignants sans cesse confrontés à la souffrance, au handicap, à la maladie et à la mort, surtout dans le contexte dégradé de la crise sanitaire. Le rôle de la collégialité est souligné de même que celui de la formation des professionnels de santé à la délibération éthique.

Résumé du mémoire

Comment une personne majeure en situation de handicap mental peut-elle prendre des décisions relatives à sa Santé ? La question est ancienne et récurrente. La réponse, longtemps limitée à la mise sous protection de la justice, évolue avec les lois. La loi de mars 2019 majore l’autonomie des personnes, faisant primer ainsi liberté et dignité humaines, et apparaître un dilemme lui aussi récurrent, que la crise Covid-19 a éclairé particulièrement.

Forte de ses capacités, la personne vulnérable est placée au centre du processus d’information et de décision. Pour autant, quel sens prend le consentement aux soins « éclairé » et « libre » ? Comment comprendre le plein accord, le refus ou tout degré intermédiaire, et accompagner la personne dans les actes de soins et de santé ?

Lorsque le représentant légal s’est exprimé sur les capacités de discernement de la personne dont il garantit les droits, sur quelles bases mener avec elle une réflexion collégiale permettant de s’assurer de l’expression de son assentiment ?

Basé sur l’observation de trois situations vécues dans un EHPAD spécialisé, et alors que la crise sanitaire de la Covid-19 privait de liberté les personnes, la réflexion proposée tend à analyser le cheminement vers une alliance thérapeutique, à la recherche du meilleur équilibre entre autonomie et bienfaisance. Partant de l’autonomie de volonté, au sens juridique, pour analyser ensuite les multiples facettes des compétences décisionnelles, le propos est ici de discuter des critères pouvant améliorer la qualité de la relation de soin et l’organisation des établissements, pour une réelle éthique du consentement.

De la nécessité de maintien du lien.

De la nécessité de maintien du lien.

Pandémie et droit de visite des proches

Elodie Camier-Lemoine, docteur en philosophie, membre de l’Espace de réflexion éthique Auvergne-Rhône-Alpes, conférencière auprès des internes de médecine générale

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » disait Alphonse de Lamartine dans un poème dont le titre ne peut faire qu’écho à notre situation actuelle : l’isolement. Depuis plusieurs semaines déjà, la plupart d’entre nous s’est vu imposer l’isolement d’avec les autres,  ces autres qui ne partagent pas notre foyer, dans le but même de la protection, notamment des plus vulnérables. Parmi eux, les plus fragiles, les plus âgés et les plus malades. L’enjeu de la protection est tel que cela a conduit à parfois interdire, parfois strictement règlementer la possibilité même d’être visité des siens.

Faire soin

Interroger les enjeux éthiques de l’interdiction et/ou de la limitation du droit de visite des proches aux personnes institutionnalisées ou hospitalisées installe d’emblée une réflexion sur ce qui « fait soin ». Toute la tradition de pensée autour du care permet de considérer une telle notion dans sa globalité, rappelant que le soin ne saurait se réduire à sa seule dimension technique et médicale. Ici, il est précisément question de comprendre ce que la restriction du droit de visite vient amputer dans le prendre soin. Que l’individu réside en EHPAD, qu’il séjourne dans une unité hospitalière, qu’il soit dans un foyer de vie ou même tout simplement confiné à domicile, le lien aux proches, quand il existe, fait partie intégrante de l’accompagnement, du soutien et du bien-être de la personne âgée, malade ou handicapée. En effet, cela contribue à la considération de l’individu dans sa totalité et participe probablement à la bonne santé, qu’elle soit mentale, morale ou encore sociale. Ce droit de visite, dont on reconnaît toute la nécessité, est pensé d’autant plus urgemment que le temps est parfois contraint, par un âge avancé, par l’incertitude de la guérison du proche contaminé ou bien alors, par des jours qui sont comptés, quand par exemple une situation de fin de vie se profile. En conscience d’un temps qui se réduit comme peau de chagrin, ne pas pouvoir se voir du tout ou bien dans des conditions réduites, fait violence, aux uns et aux autres.

Comment agir en EHPAD ?

Cette réalité a déjà beaucoup interrogé les équipes depuis le début du confinement et de la mise en place de mesures strictes pour éviter le plus possible la contamination, notamment des plus vulnérables. Les cellules d’éthique, organisées pour et dans le temps de cette crise sanitaire, ont pu réfléchir et partager autour des enjeux éthiques impliqués ici. Tout d’abord, les équipes intervenant en EHPAD par exemple, reconnaissent qu’isoler le patient de ses proches peut conduire dans certains cas à de multiples conséquences : retrait, décompensation, refus d’alimentation ou même encore, refus de soin. Plus globalement, l’interrogation porte souvent sur la limite à ne pas franchir dans la déshumanisation du soin au cœur de cette crise. Et, priver un patient de la visite des siens, interroge souvent sur l’humanité restante dans le prendre soin. Il ne s’agit pas ici de suggérer que le soin dispensé par les professionnels de santé en est dénué. C’est seulement reconnaître qu’il ne fait et ne peut pas tout et qu’il est des présences qui ne peuvent être compensées d’aucune façon, même par le meilleur professionnalisme.

Le rapport « bénéfice risque »

Dans une allocution du 19 avril 2020 dernier, le ministre de la santé, Olivier Véran déclarait la possibilité de réinstaurer le droit de visite dans les EHPAD, dans des conditions extrêmement limitées. L’assouplissement du cadre, s’il a soulagé les équipes dans leur inquiétude de voir leurs patients privés de leurs proches, a aussi questionné, notamment dans ses conditions de possibilité. Certaines équipes ont exprimé leur dévouement des semaines passées pour protéger les résidents de tout risque de contamination et de ce fait, leur inquiétude naissante face à la possibilité qu’ils puissent être infectés dès lors que les visites seraient remises en place. L’interrogation est, certes, de nature technique : comment organiser les visites ? Comment mettre en place les procédures d’hygiène maximales ? Comment structurer les lieux de rencontres ? Comment trouver des remparts au contact humain qui ne dénaturent pas démesurément la possibilité de se retrouver quelques instants ? Comment construire une procédure d’information la plus claire possible à destination des proches, afin qu’ils respectent la réglementation mais aussi qu’ils consentent à la prise de risque ? Mais d’un point de vue davantage éthique, la réflexion a aussi porté sur le rapport « bénéfice risque » entre le fait de pouvoir être visité et la potentialité d’être infecté. Certains ont même évoqué un conflit de valeurs entre deux formes de bienfaisance pour le résident. Pour que son bien-être soit, la présence des proches,  fût-elle derrière une vitre en plexiglass, est indispensable. Mais pour que son bien-être puisse demeurer, il faudrait lui éviter le plus possible les risques inhérents à la venue de personnes extérieures à l’EHPAD. L’interrogation a été réelle, recherchant la meilleure voie à choisir pour prendre soin au mieux des personnes âgées. Parmi les éléments de réflexion, l’optique d’un déconfinement plus progressif pour les personnes vulnérables, dont les personnes âgées, a fait parfois fait pencher la balance en direction des conditions les plus favorables pour pouvoir « tenir la distance » au cœur de la crise, ceci incluant nettement la présence des proches.

Réfléchir sur les valeurs du soin

Aussi, la réflexion éthique sur la visite des proches dans le contexte pandémique implique de poursuivre un travail de fond en éthique, celui de la réflexion sur les valeurs du soin, notamment ici le bon équilibre à sans cesse travailler, adapter et trouver pour les premiers concernés, les patients, mais aussi pour les autres. Pensons aux proches eux-mêmes, vulnérabilisés par les nouvelles mesures venant contraindre ce qu’ils estiment être de l’ordre du normal et de l’indispensable : se voir, se parler, se toucher. Les technologies le permettent parfois, parfois pas. Ce qui est certain, c’est que si elles offrent la possibilité d’une nouvelle relation, ceci ne peut être que différent et temporaire. Aussi, le défi est de pouvoir prendre en compte chacun, des désirs des résidents et de leurs proches aux inquiétudes exprimées des soignants, pour avancer pas à pas dans ce processus lent du déconfinement.

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