Comment situer le principe de responsabilité dans un contexte de traçage numérique ?
Elodie Camier-Lemoine, docteur en philosophie, membre de l’Espace de réflexion éthique Auvergne-Rhône-Alpes, conférencière auprès des internes de médecine générale
Selon les mots du sociologue Max Weber, « le partisan de l’éthique de la responsabilité (…) estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir »[1].
La période de confinement nous a rappelé chacun(e) à notre propre responsabilité individuelle dans la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID-19, notamment en raison du respect essentiel de la limitation des contacts sociaux. En cela, chaque comportement individuel a participé, positivement ou négativement à l’évolution de la situation.
Du principe de responsabilité
Depuis quelques semaines, il est question cette fois du principe de responsabilité en contexte de déconfinement, où l’on voit se déployer divers moyens pour poursuivre le ralentissement de la pandémie. Parmi eux, la possibilité de (re)tracer le chemin des contaminations grâce à l’outil numérique. Aussi est-il fondamental de situer ici la place de la responsabilité, tant individuelle que collective, précisément car le moment du déconfinement, à l’instar de la situation vécue ces derniers mois, correspond tout autant à un moment d’interrogation de notre responsabilité.
Au cœur du dilemme entre sécurité et liberté, comment appréhender la place de chacun au sein de ce déconfinement ? Si le procédé du traçage numérique prétend participer au ralentissement de la pandémie, la responsabilité individuelle ne serait-elle pas à la participation de chacun dans cet effort collectif de gestion du risque ? Pour autant, que savons-nous des conséquences potentielles d’une telle participation au regard de la liberté elle-même ?
Reprenons Max Weber, expliquant « qu’aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses. »[2]
N’est-il pas de l’ordre de la responsabilité que de nous interroger sur ce délicat équilibre ? Si l’on peut entendre la finalité visée par le traçage numérique – lutter contre la pandémie – l’exercice de notre responsabilité individuelle nous engage dans le questionnement même des conditions de possibilité et d’application de ce moyen. C’est probablement ici qu’un point de jonction nécessaire apparaît entre l’individu et le collectif. N’est-il pas du ressort de la responsabilité de l’Etat que de travailler à une information et une communication claire sur les enjeux du traçage afin que chacun puisse exercer sa responsabilité (tant sur le consentement ou le refus au traçage que dans le comportement général à adopter) sans se sentir amputé de sa liberté ? Dire cela, c’est justement viser une éthique où la fin moralement bonne pourrait se passer de moyens potentiellement dangereux, pour faire écho à Max Weber, qui s’interrogeait alors sur l’équilibre entre la fin et les moyens en éthique.
Réfléchir
D’une façon plus générale, la réflexion portée sur le traçage est l’occasion, consentie ou non, d’une réflexion sur ce qui existe déjà, sur notre niveau de conscience par rapport à la place du traçage dans nos existences et par conséquent, sur les responsabilités.
[1] Max WEBER, Le savant et le politique, Plon, 10/18, Paris 1995.
[2] Op-cit.