Voici un écho de la formation soutenue par la Fondation Après-Tout et œuvre des médiatrices du Centre de la Famille et de la Médiation à Lyon, en mars 2020. Il a été rédigé par Odile Nesta-Enzinger, psychologue clinicienne – Association Passible – Grenoble – centre de soins de la violence conjugale et familiale – et Nelly Janin, psychologue et psychothérapeute adultes, enfants, couple et famille, Grenoble.
Aborder la question de la
violence nécessite de s’interroger sur ce qui nous traverse lorsque nous sommes
confrontés à celle-ci. Elle nous impacte et nos ressentis sont de l’ordre de l’impuissance,
du découragement, de la peur…
Nous avons appris à transformer la
violence qui est en nous, à nous protéger pour vivre avec elle.
Mais nous pouvons tous être
happés par la fascination qu’elle exerce, alors qu’elle nous révulse (accidents
de la route, thrillers…)
En tant qu’intervenant, il nous faut élaborer une sensorialité à ce sujet car de notre perception vont naître des comportements – à l’image d’une pièce de théâtre.
La violence s’introduit dans la famille lorsqu’il n’y a pas ou plus de pensée
A l’origine, il y a toujours
chez l’un et/ou l’autre des personnes un traumatisme
infantile. Il peut s’agir de n’importe quel traumatisme chez l’auteur comme
chez la victime (comme un décès dont l’enfant s’est senti responsable). Nous
observons aussi des mécanismes de projection avec des liens vers la
persécution, l’abandon, le rejet.
En entretien, laisser à chacun
le temps de s’exprimer est essentiel : ce sont les zones non
mentalisées qui posent problème. Notre écoute doit permettre de repérer comment
est née la violence entre ces personnes, qui a dominé, qui a le sentiment
d’avoir donné ou trop donné. Par ce récit, elles nous montrent un aspect
d’elles, alors la « scène » change ou n’existe plus ; elles peuvent
alors parler d’elles.
L’intervenant ne peut jamais
comprendre l’alchimie d’un couple mais il peut travailler avec ce vécu. C’est à
partir de ce que les victimes ont raconté de leur vécu que nous avons compris
les auteurs de violence.
La violence se joue dans la sensorialité
Il nous faut interroger la peur,
celle des personnes, la nôtre. Il est difficile de se représenter la peur de
l’autre qui est dans une autre sphère. A-t-on peur pour soi ? Pour la
personne ? Notre travail est de « détricoter » le problème de
l’autre pour l’aider à se mettre à distance de sa réalité. En écoutant, il nous
faut continuer à penser en ayant
accès à des images différentes et à rester efficient.
C’est le plus souvent difficile pour une personne de dire qu’elle souffre. Elle préfère dire ce que l’autre lui a fait. Or, le travail thérapeutique commence lorsqu’une personne souffre de l’autre dont elle a peur alors que dans le vécu du traumatisme, elle est déconnectée.
C’est par ce ressenti de
souffrance que la personne concernée évitera la reproduction de la violence. En
effet, pour survivre à une agression, une victime peut devenir à son tour
agresseur et pour se sentir moins fragile, créer une construction
psychique. Si les mécanismes de protection sont très coûteux psychiquement et
créent de la fragilité, ils peuvent aussi être travaillés.
Notre accompagnement
Notre accompagnement a pour objectif d’aider les personnes à savoir où elles en sont d’elles-mêmes, à clarifier leur pensée et à pouvoir décider.
L’intervenant est dans un double
mouvement : s’intéresser à la violence actée et mener une réflexion sur ce
qui amène à cette violence.
Il doit se dégager de la morale
et observer.
Dans une scène traumatique, chacun se remet en jeu comme victime et auteur. Tous se trouvent à un moment donné dans un état dissocié : perdus, déshumanisés, les conjoints explosent d’eux-mêmes dans des états dissociatifs : il n’y a plus de parole mais seulement l’expression de leurs émotions, ils perdent le contact avec eux-mêmes. Dans un couple violent, se joue la survie de l’un ou de l’autre.
Dans les familles à transactions
violentes, chaque enfant essaie de s’adapter à « l’inadaptable » et
remplit un rôle soit d’identification à l’agresseur, soit à la victime. Il faut
observer cet enfant-là face à nous, ses souffrances somatiques, psychiques,
muettes, en trop ou en manque, souvent imprévisibles, souvent paradoxales. L’enfant
n’est pas un témoin passif, il développe des stratégies. Plus il est petit,
moins il a les moyens d’agir. Peurs, terreur, détresse, anxiété, colère,
confusion, impuissance sont tout ce qu’il peut vivre. Pendant l’accalmie,
il reste en alerte, perd de la disponibilité : l’hyper-vigilance est liée
au calme avant la tempête.
Il vient « déranger »
ses parents pour leur dire qu’il a besoin d’eux, besoin qu’ils soient parents.
Au plan affectif, ces enfants anxieux, dépressifs, manquent de confiance en
eux, ont un attachement insécurisé et une représentation d’un monde mauvais.
Comme
arrêter « la machine conjugale » ? « Trop près, ils se
violentent, trop loin, ils se perdent ». L’absence de capacité d’autonomie
traduit des fragilités internes, un manque de confiance en soi et l’idée de
« j’ai besoin de quelqu’un pour m’aider ».
Parce que la violence perdure si elle n’est pas traitée, on peut citer le rappel à la loi et l’obligation de soins.
Au début de la thérapie, les
personnes reçues expriment que « le monde va mal », par la suite, elles
disent « j’ai mal ».
Reconnaître aussi une victime
comme actrice de son histoire, c’est lui rendre service, lui donner de la
force car elle sera plus libre de son devenir quand elle ira mieux. Le
cerveau est re-modelable, nous n’effaçons pas les cicatrices mais nous pouvons changer le rapport à l’histoire.
« Ce serait bien que vous preniez soin de vous » est une invitation qui peut être entendue : depuis cette formation, en tant que médiateurs familiaux, nous orientons de manière plus adaptée les personnes vers un accompagnement thérapeutique dont nous connaissons mieux les objectifs. La compréhension des mécanismes de la violence intrafamiliale est aussi pour nous d’un apport essentiel, du fait de notre intervention dans les contextes de la séparation ou du divorce, qui sont de nature à renforcer ces mécanismes.
Pour aller plus loin
Film pédagogique « Tom et Léna » de 15mn – réalisé en 2015 par Johanna Bedeau – sur l’impact des violences au sein du couple sur les enfants ainsi que l’impact sur la parentalité
https://www.dailymotion.com/video/x3efezd