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Au service de l’accompagnement spirituel de la personne hospitalisée 

Le 18 novembre 2024, le Comité exécutif de la Fondation a décerné ses prix de mémoire 2024. Parmi eux, le travail de Madame Blandine Vrel, aumônier catholique au Centre Hospitalier Lyon-Sud depuis 2021, présenté dans le cadre du DU « Religion, liberté religieuse et laïcité » 2022-2023. Il portait sur : « Soigner et cultiver le partenariat aumôniers-soignants au service de l’accompagnement spirituel de la personne hospitalisée ». Elle nous le présente en quelques lignes.

La finitude, la souffrance, la maladie et la mort s’expriment profondément à l’hôpital. La médecine veille sur l’homme là où son humanité est la plus exposée dans la fragilité et c’est pourquoi une place singulière de veille lui est assignée. La place de l’accompagnement spirituel en milieu de santé se pense dans un contexte de sécularisation des institutions de soins et de la société, mais aussi de prise en compte de la personne dans toutes ses dimensions par les soins. À l’heure où les prises en charge se veulent globales, il est donc nécessaire pour l’entourage de la personne hospitalisée, médical ou non, d’intégrer cette dimension spirituelle. J’ai choisi de m’interroger sur cette mission de l’aumônier : collaborer avec les soignants pour apporter plus d’humanité au sein des hôpitaux et incorporer une certaine éthique dans la prise en charge globale des personnes hospitalisées en prenant en compte les particularités cultuelles et culturelles des personnes. Plusieurs enjeux éthiques ont guidé et éclairé ma recherche.

Le patient comme personne 

La maladie demeure une expérience, un ébranlement, un événement destructeur et/ou fondateur. Sous-jacente à la question de l’identité se joue la question de la permanence de soi. « Je suis un fardeau », « Pourquoi vous perdez votre temps avec moi », « Je sers plus à rien », « Je ne me reconnais même plus ». Comment percevoir la dignité des personnes malgré toutes les défigurations de la maladie, du vieillissement, du handicap… ? Comment répondre de manière ajustée à la vulnérabilité de l’autre en prenant en compte sa subjectivité (soigner mais pas malgré l’autre) ?

La spiritualité

L’OMS inclut la spiritualité dans sa définition de la santé, en caractérisant l’humain par quatre dimensions : biologique, psychologique, sociale et spirituelle. Qu’est-ce qui me fonde en tant qu’être humain ? Qu’est-ce qui donne sens à ce que je vis ? Au cœur de ces interrogations, les personnes accueillies à l’hôpital doivent pouvoir faire entendre leur questionnement spirituel ou religieux. C’est une nouvelle perspective de l’accompagnement aux soins qui s’ouvre en permettant aux aumôniers et aux soignants d’offrir leurs compétences respectives. De quoi faut-il prendre soin en tout être humain : cohérence, transcendance, unité…?  Comment soutenir la personne hospitalisée mais vivante jusqu’au bout, jusque dans la dépendance, la souffrance ?

L’alliance thérapeutique 

La maladie altère la relation. C’est une sorte de mort sociale, relationnelle. Cependant, la personne hospitalisée est de plus en plus sujet, acteur de ses soins et non plus passif, ce qui peut complexifier la tâche des soignants mais aussi l’humaniser voire la faciliter en acceptant la personne hospitalisée dans sa globalité. Il s’agit de « créer une alliance ». La religion est une pierre participant à la construction de cette alliance thérapeutique dans le quotidien des soins. Sa prise en compte est le meilleur garant du respect de ce qu’est chacun. Ce travail en alliance peut viser la réunification de la personne, dans toutes ses dimensions, et lui permettre d’être « sujet de sa propre histoire. Comment développer une attention au vécu de l’autre pour le soigner le mieux possible ?

A chacun à sa place 

Comment évaluer les besoins spirituels, détecter les demandes ? Comment les soignants, tout en respectant les exigences de la laïcité (ils sont tenus au principe de neutralité), peuvent-ils être attentifs à ces « besoins spirituels » et aux « besoins religieux », notamment cultuels, pour accompagner au mieux les personnes accueillies ? Quelle coordination mettre en place avec les équipes pour répondre au désir d’accompagnement de la personne ?

Quid de la place des autres religions ?

Les soignants ne souffrent pas seulement de la mort qui demeure la limite de toutes leurs pratiques et réussites mais de la déshumanisation de la mort lorsqu’elle est privée d’accompagnement et de ritualisation (Cf. la pandémie du COVID). A l’hôpital, la religion peut être une ressource face à la maladie, un lieu de soin : elle participe à l’équilibre fondamental de celui qui croit. Une question peut être soulevée, celle de la présence majoritaire des aumôniers de religion catholique. Un des enjeux est de respecter un pluralisme, essentiel à la laïcité,  et une équité dans la place des différentes religions. Nos manières de pratiquer et vivre notre foi sont différentes. Comment prendre en compte les aumôneries protestantes, juives, musulmanes ? Pourrait-on imaginer que la visite de présentation se fasse au nom de toutes les aumôneries ? Cette présence dominante peut-elle être perçue comme une forme de prosélytisme ?

Y a-t-il un risque d’appropriation médicale de la spiritualité ?

L’expérience spirituelle risque d’être médicalisée, réduite à des fins thérapeutiques. Si le seul but du spiritual care est la diminution et même l’élimination de toutes les souffrances, l’organisme devrait être sans faille, harmonieux, parfait. Guy Jobin évoque « l’esthétisation biomédicale de la spiritualité ». Cependant, nous le constatons, l’expérience de la maladie reste un combat, une lutte. Comment le spirituel peut-il rester ce qui échappe à toute récupération parce qu’il concerne la gratuité, l’identité profonde, le mystère et la liberté de la personne ? Comment préserver la spiritualité de l’utilitaire, du mesurable et du consommable ?

Un autre défi est de préserver la confidentialité et la liberté des personnes hospitalisées. Qu’en est-il du secret médical si le professionnel du spiritual care doit faire un compte-rendu systématique de ses visites à l’équipe soignante ? La confusion entre soignants médicaux et accompagnateurs spirituels pourrait être néfaste à la confiance établie. Pour préserver la gratuité du spirituel hors de toute récupération, nous devons veiller à ne pas être utilisés et à sortir d’une logique de l’efficacité et de l’utilité. De fait, il semble essentiel de considérer la personne comme un mystère et d’accepter que le « soin spirituel » demeure invisible et pas réduit à un modèle ou à une recette.  Un des défis de l’aumônerie est donc de promouvoir l’intégration des ressources spirituelles et religieuses dans le soin mais sans laisser la médecine réduire et instrumentaliser ces ressources ou quantifier le soin spirituel.

Il nous faut également être vigilants quant au prosélytisme vis-à-vis des personnes vulnérables. Dieu n’entre jamais dans la vie de quelqu’un par effraction. S’interroger ensemble sur « ce que dit la loi » permet d’apaiser les débats et de créer un espace de parole. Il devient possible de parler de religion sans laisser planer la crainte d’une emprise religieuse menaçant les libertés en contexte de vulnérabilité. La laïcité permet de rappeler les droits en fixant des limites.

Prendre soin : une vocation pour tous

La pandémie a pu être une révélation de la place du soin dans notre vie et dans la société. Cette nouvelle conscience du soin ravive la pertinence des éthiques du care et des politiques du care.

Les actes spirituels soutiennent nos manières de “vivre bien” et, inspirés par les héritages des traditions spirituelles et religieuses, permettent de prendre soin de soi, des autres et du monde : cultiver l’intériorité, stimuler la quête de sens et la formulation des valeurs personnelles, examiner et choisir ce qui convient davantage, attester de la dignité de tout être humain en écoutant la convocation à prendre soin d’autrui, élaborer inlassablement, dans l’entretien mutuel et collectif, le monde commun.

Selon cette philosophie, le care n’est plus une aptitude censée caractériser une prétendue nature féminine plus attentive à la vie et aux personnes mais une exigence démocratique et universaliste. Prendre soin n’est plus une vocation pour quelques-uns, il est une convocation adressée à tous. C’est la société plus largement qui bénéficie de cette restauration, si on donne une définition large du soin dont la finalité est de vivre bien. Prendre soin de l’autre, c’est participer à « maintenir, perpétuer et réparer notre monde ». Comment la promotion de la santé spirituelle doit s’inscrire dans l’action publique avec un souci éthique et une visée morale, à l’endroit de l’ensemble de la communauté humaine ?

L’aumônerie en milieu hospitalier public est une illustration de la laïcité au service de l’intégrité et l’autonomie de la personne. L’assistance spirituelle est donc un service public. La dimension religieuse ou spirituelle étant une composante de l’Homme, notre mission d’aumônier participe ainsi au soin de la personne hospitalisée. C’est pourquoi il nous semble nécessaire d’encourager les soignants à être nos partenaires pour une prise en charge de la personne dans sa globalité et son intégrité : comment bénéficier de la façon la plus juste de leur investissement ?

La Fondation, Concertina et les professionnels

En ouverture des 4èmes Rencontres estivales qui se tenaient à Dieulefit (Drôme), s’est tenue le jeudi 27 juin 2024 une Journée interprofessionnelle Art-Culture-Enfermements (Justice-Santé-Social) avec une cinquantaine de participants.

Ils venaient de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais aussi de Paris, Montreuil, Arles, Agen, Marseille et Sanary-sur-Mer.

Ils travaillent dans un centre hospitalier, en maison d’arrêt, en EHPAD, en habitat inclusif, dans une compagnie de théatre ou un foyer d’accueil médicalisé pour adultes handicapés mentaux, dans un musée ou à l’ENAP, à la DRAC ou l’université, dans l’administration pénitentiaire ou une association…

Avec Claude Costechareyre, en ateliers, à partir de leurs pratiques professionnelles et de leurs lieux d’insertion, ils se sont prêtés à un exercice d’intelligence collective pour chercher, formuler, échanger, débattre et énoncer les « essentiels » d’un projet culturel dans ces lieux d’enfermement que sont la détention, l’hospitalisation, la maladie mentale…

Marion Lachaise, artiste plasticienne et vidéaste, a rendu compte de son très beau travail avec des personnes privées de liberté.

Une passionnante table-ronde a réuni des professionnels aux parcours diversifiés : Séverine Legrand, directrice InterSTICES, Culture et Santé en Auvergne-Rhône-Alpes, Denis Couder, directeur territorial adjoint à la PJJ Drôme-Ardèche, Juliette Pegon, responsable culturelle au Centre hospitalier de Privas, Julie Pradera, de la Comédie de Valence, et Marianne Schlégel, coordinatrice culturelle au SPIP Drôme -Ardèche. Elle a permis de découvrir non seulement des possibles, mais le poids des contraintes et les difficultés du temps présent pour permettre à chaque persnne de vivre et exprimer sa propre culture au delà des enfermements qui sont les siens.

La Fondation Après-Tout était partenaire de cette Journée interprofessionnelle et des 4èmes Rencontres estivales Concertina.

Découvrez le programme de Concertina 2024

Dans quelques semaines se dérouleront à Dieulefit, dans la Drôme, la quatrième édition de Concertina (28, 29 et 30 juin 2024) sur le thème de Marges.

Concertina prend la forme de Rencontres estivales d’une durée de trois jours autour des enfermements (prison, rétention administrative, garde-à-vue, hospitalisation psychiatrique sous contrainte…).

C’est à une aventure commune que sont conviés les participants : conférences, projections de films, plateaux radio en direct, installations plastique et photographique, concerts, conférences gesticulées, spectacles de rue, création graphique, ateliers, déambulations guidées, blog, cantina et bal populaire.

En effet, hommes, femmes, citoyens, militants, avocats, historiens, anthropologues, sociologues, géographes, architectes, proches de prisonniers, statisticiens, travailleurs sociaux, magistrats, philosophes, graphistes, anciens détenus, documentaristes, aumônier, médecins, réalisateurs, psychologues, photographes, metteurs en scène, journalistes, élus, enseignants, écrivains, chercheurs, artistes, et bien d’autres, s’intéressent à la privation de liberté. L’enfermement devient l’un des enjeux majeurs des sociétés actuelles qui condamnent en priorité les personnes en situation de pauvreté et les minorités ethniques.

Concertina est donc un rendez-vous annuel pluridisciplinaire et un espace joyeux pour le vivre : réunir, en un même lieu, des personnes animées de la même envie de partager avec les habitants d’un territoire, ce qui les mobilise à Saint-Julien-Molin-Molette, à Paris, à Dieulefit, à Bourdeaux, à Lyon, à Grignan, à Bruxelles, à Genève, à Rome et ailleurs.

Voici le programme 2024 ! Téléchargez-le en cliquant ici !

Sachez que l’édition 2023 a été marquée d’une résence cumulée de plus de 3.300 personnes sur l’ensemble des événements proposés, soit près de 850 participants sur les trois jours. Plus de 90 intervenants, plus de 45 foyers du territoire pour les accueillir, plus de 60 bénévoles. 

Pour toutes informations : Concertina Rencontres – Rencontres estivales autour des enfermements (concertina-rencontres.fr)

Médecine et Philosophie, une revue scientifique soutenue par la Fondation

La revue scientifique Médecine et Philosophie (http://medecine-philosophie.com/) a été créée en 2018 par un groupe de médecins formés aux sciences humaines. Elle traite d’une thématique médicale au prisme des sciences humaines. Il s’agit d’une revue électronique et sous format papier, entièrement gratuite et libre d’accès et de diffusion. La Fondation Après-Tout soutient son développement, sa diffusion et son expansion.

Aux origines

La revue Médecine et Philosophie est née de l’idée de rassembler autour d’un outil commun des médecins formés aux sciences humaines. À chaque numéro thématique, des philosophes, médecins, anthropologues, sociologues, juristes et personnes impliquées par la thématique sont invités à communiquer. La direction de publication est partagée entre Brice Poreau, saintcyrien, ingénieur, docteur en philosophie, en biologie et médecin généticien, et Christophe Gauld, médecin psychiatre et doctorant en philosophie de la médecine.

Ses objectifs

L’objectif de la revue est d’opérer un décloisonnement des champs disciplinaires, en rapport avec les thématiques actuelles promues par la science ouverte et les enjeux de la démocratie scientifique. Du fait de son indépendance financière et institutionnelle, la revue évite la segmentation scientifique en différentes disciplines isolées.

L’idée initiale était de créer un terrain unique de rencontres et de diffusion du savoir. Une revue en libre accès (plan national pour la science ouverte / archives ouvertes), à caractère initialement médical (un thème médical est choisi) et s’ouvrant sur les sciences humaines (des acteurs de tous les horizons sont convoqués), paraissait constituer un outil pertinent.

Déjà quatre numéros…

Aujourd’hui, en 2020, la revue en est à son quatrième numéro : après « Autisme et Humanisme », « Génétique et Liberté » et « Don, soin et reconnaissance », son dernier numéro s’attache à faire discuter des intervenants d’horizons différents autour de l’intelligence artificielle.

Le soutien de la Fondation Après-Tout a constitué une étape importante dans le processus de création de la revue. Elle a pu permettre de l’insérer dans le paysage culturel de la région, en lui donnant une visibilité et en permettant de développer son expansion matérielle (format papier). Elle permettra à l’avenir d’assurer sa pérennité et lui fournira un ancrage solide pour l’avenir.

Christophe Gauld, Brice Poreau

et le Comité de Rédaction de la revue Médecine et Philosophie

Un projet à soutenir : les cercles de résilience

Dans le contexte de pandémie qui est le nôtre aujourd’hui, la Fondation Après-Tout a décidé d’engager dès maintenant des moyens importants dans l’accompagnement des professionnels.

Cet engagement se concrétise par le soutien financier de projets visant à écouter, assister, aider sur un plan psychologique les soignants, les acteurs du médico-social, tous les professionnels du pénitentiaire et du judiciaire, qui peuvent être durablement meurtris par les événements qu’ils vivent aujourd’hui.

L’association APL’HUS

Plusieurs associations ont déjà contacté la Fondation Après-Tout pour présenter leur action. Notamment l’association APL’HUS (association pour l’humanisation des soins). Cette association, créée en 2005 sur l’initiative de Jean-Louis Terrangle et Marie de Hennezel, a pour vocation de mettre en œuvre un accompagnement plus humanisé des personnes rendues vulnérables par la précarité, la maladie, le handicap, le deuil, ainsi que ceux qui les entourent. L’association développe à partir des besoins essentiels de l’être humain, une qualité des soins autour du TACT – le TACT est l’art d’être bien avec soi pour mieux accueillir ce qui EST. Il est l’un des chemins qui permet aux personnes rendues vulnérables de retrouver leur sentiment de dignité de femme et d’homme, de rester vivant jusqu’au bout.

Les cercles de résilience

L’association développe plusieurs axes de formation et souhaite mettre en œuvre des cercles de parole dans les EPHAD.

Dans la crise actuelle, le risque est grand de tomber dans un état de découragement car celle-ci dure longtemps. Aider les soignants à s’emparer de ce qui a fait la force de ce combat, c’est les aider à prendre du recul, identifier les forces, les faiblesses et les opportunités de ce système. Les soignants savent faire, ils l’ont prouvé.  Il ne s’agit pas de nier les dysfonctionnements, juste faire un bilan lucide et réel de la crise COVID. Apprendre à reconnaitre ce qui a fonctionné bien ou moins bien et en faire quelque chose, déposer la charge émotionnelle et construire un prendre soin qui tient compte des diverses réalités.

Le projet

Il repose sur trois axes :

  • Proposer aux soignants des « cercles de résilience », cercle de partage et de rencontre afin de faire le bilan de leur vécu, relatif à la crise COVID. 
  • Accompagner les professionnels de santé dans un exercice de résilience après la période de confinement. C’est-à-dire, revenir à un fonctionnement normal des soins en gardant en mémoire les points positifs de la crise et enrichir les pratiques professionnelles et relationnelles grâce à cette expérience.
  • Aider les professionnels à reprendre leur souffle et éviter un phénomène de décompensation.

La formation est assurée par les membres de l’association.

Pour en savoir plus, télécharger le document de présentation

Soutenez ce projet !

La Fondation Après-Tout s’est engagé à soutenir l’association dans la mise en place de ces groupes de parole dans la mesure d’une implication financière aussi de l’établissement demandeur.

Vous pouvez soutenir ce projet par un don en ligne.

Une note de lecture sur le dernier livre de Cynthia Fleury

Recension rédigée par Alain Chalochet

Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme, Gallimard, 2019, 70 pages, 3,90 euros.

Cynthia Fleury, est philosophe et psychanalyste. Professeur titulaire de la Chaire « Humanités et Santé » au Conservatoire national des arts et métiers, et professeur associé à l’École nationale supérieure des mines de Paris. En 2016, elle a fondé la chaire de philosophie à l’hôpital, au GHU Hotel Dieu de Paris et Sainte-Anne. Elle a exercé dans la cellule d’urgence médico-psychologique du SAMU de Paris. Elle est membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et siège aussi au comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies.

Cynthia Fleury a notamment publié La Fin du courage : la reconquête d’une vertu démocratique (2010), Les Irremplaçables (2015) et Dialoguer avec l’Orient : retour à la Renaissance (2016).

On est surpris de commencer la lecture par la description de groupes de Gilets jaunes sur des ronds-points, et une citation de Marx ; mais c’est pour nous rappeler que « du souci de soi au souci de l’Etat de droit, tel est le chemin éternel de l’humanisme » et que « quand la civilisation n’est pas soin elle n’est rien ». 

Pour l’auteure, « le soin est le propre de l’homme ». Encore une surprise, c’est à partir de la formule de Jean-Paul Sartre, « l’existentialisme est un humanisme », que la démonstration commence. Pour lui, l’homme existe d’abord, se rencontre et se définit ensuite, et au final « il n’est rien d’autre que ce qu’il se fait ». Il est responsable de lui-même, mais aussi de tous les hommes, et notre humanité engage l’humanité entière. L’homme érige son humanité en façonnant le monde. Il y a là un véritable engagement éthique de l’homme, et prendre soin de quelqu’un c’est l’emmener vers son autonomie.

C. Fleury montre comme la vulnérabilité est liée à l’autonomie, et elle plaide pour sa reconnaissance en tant que telle, de manière positive et utile. L’objectif doit être de mettre en place des manières d’être  « aptes à faire face à la fragilité pour ne pas la renforcer, voire pour la préserver, au sens où cette fragilité peut être affaire de rareté, de beauté, de sensibilité extrême ».

L’idée forte est celle d’irremplaçabilité des personnes, développée dans un autre livre par l’auteure. Elles sont irremplaçables parce que chacune d’entre elles est exceptionnelle, et que si l’individualisme contemporain entraine bien des conséquences néfastes, la reconnaissance de tout individu en tant qu’être particulier, avec la liberté qu’il porte et avec son engagement sont nécessaires à la démocratie.

Il y a là une nécessité pour faire face aux pressions actuelles de la rationalisation économique, de la technologie, qui, pour C. Fleury,  sont – dans le cas de l’hôpital – à la source de la crise vécue aussi bien par les soignants que par les soignés.

Pour cela, et pour rester humain, il faut donc oser penser, dans ce domaine de notre vie comme dans d’autres.

Mais attention : penser c’est bien sûr penser soi-même, mais ça ne prend toute sa valeur que quand c’est fait en se confrontant aux autres.

C’est bien le but recherché dans le lien entre humanités et santé, que porte le titre de la chaire de C. Fleury. Et pour l’auteure, c’est tout l’intérêt assigné à un lieu tel que cette chaire, ainsi qu’à d’autres éventuellement de formes différentes. Le recours aux diverses disciplines des humanités doit permettre d’aider les patients à « développer une puissance d’invention de nouvelles normes de vie, qui ne sera pas le retour à l’état antérieur » à la maladie. Avec le regret que cette dimension capitale ne soit pas plus présente du fait de la faible place faite aux humanités dans la formation des soignants.

Pourtant, le soin à l’hôpital ne doit pas être une chose donnée à des malades par des soignants qui savent ; il ne peut l’être que dans le cadre d’un partage dans une alliance dialectique avec le patient au centre. Bien des évolutions ne sont pas favorables à une telle prise en compte des individus et de leur expression : C. Fleury cite là l’état de droit de manière générale, la maladie certainement, la part croissante de la technique aussi.

Mais, fait encourageant à constater, le développement ces dernières années de l’éducation thérapeutique qui suppose une réflexion partagée, ou le rôle du patient-expert.

Justement, C. Fleury accorde une mention particulière à la maladie chronique et à son traitement. En effet, la médecine permet souvent aujourd’hui au patient de conserver la vie, mais avec un suivi à long terme, et si « la maladie n’a pas basculé du côté de la mort mais du côté de la vie », le patient doit vivre avec un mal, « et un mal qui vit ».

Ceci la conduit à demander que les professionnels du soin, notamment médecins, gardent en mémoire « qu’il n’y a pas de maladies mais seulement des sujets qui tombent malades ». Une exhortation dont on mesure l’importance avec la spécialisation qu’on rencontre dans des services hospitaliers universitaires, qui peut conduire justement à s’intéresser plus à la maladie qu’au malade.

Le développement des traitements en mode ambulatoire, recommandé aux hôpitaux pour des motifs budgétaires, et souvent pour répondre au désir des malades, vient encore renforcer la nécessité de mettre le patient en condition de jouer dans ce traitement un rôle actif, d’agent, d’acteur du traitement.

Comme dans la 2ème partie du siècle dernier, les grands rénovateurs de la psychiatrie française, C. Fleury recommande de se poser la question de savoir si le fonctionnement des institutions sanitaires et sociales est compatible avec l’instauration d’une éthique des soins. Pas comme une mise en accusation délibérée, mais comme le souhait qu’elles aussi s’interrogent dans divers domaines de la gestion des personnels, des soignants en formation (dont on sait qu’ils rencontrent souvent des difficultés), des pratiques en place, afin qu’elles ne favorisent en rien une maltraitance des personnes soignées. Ces remarques font totalement écho aux recommandations actuelles, notamment de la Haute Autorité de Santé, inspirée du principe selon lequel seule une réelle qualité de vie au travail des personnels est de nature à permettre une bonne qualité de prise en charge du patient. 

C. Fleury termine comme elle a commencé, en élargissant le regard sur une société démocratique dans laquelle tous auraient la volonté de maintenir une réflexion, avec un objectif final : « rendre le monde habitable, vivable pour l’humanisme », « élaborer une qualité de présence au monde, au vivant, à la nature, au sens où elle est inséparable – cette nature – de notre condition d’homme. »

On ne peut terminer sans mentionner le court ajout final, intitulé « Les femmes désenfantées » que C. Fleury adresse aux femmes comme celles qu’elle accompagne dans son activité, les femmes qui ont perdu un enfant, ou n’ont pas pu l’avoir, celles « qui n’ont pas d’autre enfant que celui qui est mort ». Les mots de tendresse qu’elle leur adresse là sont particulièrement touchants. Mais au-delà, elle tient à leur dire comme elles peuvent, elles, pourtant vulnérables, apprendre aux professionnels qu’elles rencontrent, en montrant « comme il faut prendre conscience du don du présent » et « ne pas vaciller dans la douleur définitive ». Une preuve de « l’alliance dialectique » citée plus haut certainement….

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