Étiquette : Nombre de détenus

Au 1er janvier 2020 : 70.651 personnes incarcérées en France

Au 1er janvier 2020 : 70.651 personnes incarcérées en France

Noté rédigée par Vincent Feroldi

Le nombre de détenus dans les prisons françaises est en baisse par rapport au chiffre d’octobre 2019 (70.818) mais en augmentation par rapport au 1er janvier 2019 (70.059), avec 71.061 personnes incarcérées, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire publiés le 31 janvier 2020. Ainsi, 82.860 personnes étaient placées sous écrou, dont 12.209 sous surveillance électronique ou à l’extérieur.

Le nombre très symbolique de 70.000 détenus dans les 187 établissements pénitentiaires de France (départements et territoires ultramarins compris) avait, lui, été atteint en avril. Avec plus de 70.000 détenus pour 61.080 places opérationnelles, la densité carcérale s’établit désormais à 115,7 % dans les prisons françaises, qui souffrent d’une surpopulation chronique, contre 116,5 % un an plus tôt.

Cette augmentation s’explique surtout par une forte hausse du nombre de personnes prévenues en détention ; elles représentent aujourd’hui 29,8% des personnes détenues.

Le nombre de personnes écrouées non détenues est en augmentation de 9,1% par rapport au 1er janvier 2019. Il y a une petite hausse du nombre de placements sous surveillance électronique (11.558) mais on est en dessous du chiffre de juillet 2019 : 11.615. Quant aux personnes en placement extérieur non hébergés, elles sont 651.

Pour finir, depuis le record de 894 mineurs détenus en juillet 2019, la baisse du nombre de mineurs écroués se poursuit avec 816 mineurs.

La densité carcérale, à 115,7 %, reste stable sur l’ensemble des Directions Interrégionales et des établissements.

Pour avoir l’ensemble des données chiffrées, rendez-vous sur le site du Ministère de la Justice en cliquant ici.

La mesure mensuelle de l’incarcération au 1er octobre 2018 est accessible ici.

Punir, une passion contemporaine

Punir, une passion contemporaine

Note rédigée par Alain Chalochet

Didier Fassin, né en 1955, est médecin, puis anthropologue et sociologue.
Il est actuellement professeur de Sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’EHES. Après avoir d’abord étudié sur le terrain des questions d’ordre médical en Amérique du Sud ou en Afrique, il s’est tourné vers des questions sociales ou politiques. 
Sa préoccupation première porte sur les dimensions politiques de la santé (il étudie le Sida au Congo, la santé maternelle en Equateur, le saturnisme infantile en France). Les inégalités sont centrales dans ses réflexions, qu’elles soient présentes dans le domaine de la santé, puis dans la vie sociale (les politiques de la vie et comment on traite les êtres humains), ou dans le champ de la justice.
Etudiant des questions morales qui prêtent à discussions, il cherche à replacer les évidences apparentes dans l’histoire en recherchant leurs ressorts politiques sous-jacents (travail sur la généalogie de la catégorie de victime par exemple). Sa démarche est le plus souvent fondée sur un principe : ne pas s’arrêter – comme on s’en contente trop souvent – aux évidences du monde social. Celles-ci sont souvent fausses et il est préférable de reprendre une certaine distance, cette distance que permet un travail empirique mené sur le terrain en contact avec les acteurs de ce terrain.
Sa démarche allie donc toujours étude de terrain et réflexions mêlant le droit, la sociologie et la philosophie. C’est le cas notamment dans l’ouvrage étudié ici.
Ses études sur la police, la justice et la prison s’attachent à chercher la dimension répressive du traitement des personnes vulnérables. Ses livres « La force de l’ordre » (2011) sur la police dans les quartiers populaires, et « L’Ombre du monde » (2017) sur la condition carcérale sont à ce titre, particulièrement significatifs. Présentant l’étude des pratiques des intervenants, ils font apparaitre que ces pratiques ne sont pas toujours conformes aux discours établis.
Le livre « Punir, une passion contemporaine » réfléchit à partir de ces constats, aux « fondements de l’acte de punir » en alliant réflexion juridique, sociologique et philosophique. Il est issu de conférences données par D.Fassin à l’Université de Berkeley et qu’il a reprises ensuite pour fournir la matière de ce livre.

Constats

Le livre s’ouvre sur un constat : le nombre de détenus emprisonnés ne cesse d’augmenter : 20 000 en 1955, 43 000 en 1985, près de 70 000 en 2015[1]. Le lecteur peut même compléter avec le nombre actuel : 71 828 au 1er Avril 2019[2].

Peut-on dire que ce phénomène est consécutif à une augmentation de la criminalité ? Ça n’est pas le cas, puisque celle-ci a tendance à régresser notamment dans ses manifestations les plus graves.

Sur ce point précis, il faut noter que si l’auteur donne certes ses références qui sont objectives, on sait bien que ce constat n’est pas partagé par nombre de nos concitoyens, ce qui explique en bonne part la réussite du populisme pénal dont nous parle l’auteur par ailleurs. D’où la nécessité de travailler l’argumentation pour la faire mieux entendre qu’elle ne l’est souvent.

Quant à l’augmentation du nombre de détenus qui, elle, est incontestée, et s’appuie sur les statistiques du Ministère de la Justice, on la constate aussi dans de très nombreux pays et elle semble bien aujourd’hui constituer la règle.

En fait, l’auteur nous l’explique : nous sommes actuellement dans un « moment punitif »[3]  encouragé par une sorte de populisme pénal très en vogue reposant sur la conjonction d’une sensibilité accrue aux incivilités et délits de la vie courante, et d’un discours politique très axé sur les enjeux de sécurité. Si l’on comprend bien le sens général de la formule et si on en ressent la validité, on regrettera que cette notion de populisme ne soit creusée plus avant, quant à ses ressorts profonds, compte tenu du fossé qu’elle contribue à établir entre la compréhension populaire majoritaire de la question pénale et celle qui peut résulter de ce livre par exemple.

Le châtiment voulait être la solution au problème suscité par la criminalité. Or on peut dire que, de solution, il est devenu maintenant le problème. Problème, « il l’est à cause du nombre d’individus qu’il met à l’écart ou place sous surveillance, à cause du prix qu’il fait payer à leurs familles et leurs communautés, à cause du coût économique et humain qu’il entraine pour la collectivité, à cause de la production et la reproduction d’inégalités qu’il favorise, à cause de l’accroissement de la criminalité et de l’insécurité qu’il génère, à cause enfin de la perte de légitimité qui résulte de son application discriminatoire ou arbitraire. »[4] 

C’est cela qui amène l’auteur – après avoir étudié la question sous la forme d’études sur la police, la justice, la prison – à vouloir cette fois y réfléchir de manière théorique  en se préoccupant maintenant « des fondements de l’acte de punir ».

Il procède donc à l’examen de trois questions : Qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ?, qui seront examinés dans le domaine de la justice institutionnelle, mais aussi dans ceux de la police et du pénitentiaire.

Qu’est-ce que punir ?

D.Fassin part de la définition – généralement reconnue par les juristes et les philosophes – donnée du châtiment en 1959 par un juriste et philosophe anglais H.L.A. Hart : « Il doit impliquer une souffrance ou d’autres conséquences normalement considérées comme désagréables ; il doit répondre à une infraction contre des règles légales ; il doit s’appliquer à l’auteur réel ou supposé de cette infraction ; il doit être administré intentionnellement par des êtres humains autres que le contrevenant ; il doit être imposé par une autorité instituée par le système légal contre lequel l’infraction a été commise. »[5] 

Il va ensuite s’appliquer à vérifier si aujourd’hui ces 5 critères sont bien présents et respectés dans la réalité des faits, ceci à partir d’exemples divers qu’il explicite et qui sont tirés de ses observations de terrain. On s’aperçoit là que les choses sont beaucoup moins claires dans les faits réels que dans la théorie, et que même les intervenants, policiers, juges, ne perçoivent pas cet écart facilement, même en toute bonne foi. Par exemple, des questions sont vite soulevées, comme celle de la frontière entre punition et vengeance par exemple, ou celle de la réalité d’une équivalence du dommage causé et de la douleur infligée en retour.

Sa conclusion au terme de cet examen de la présence dans les faits des critères de LLA Hart : un seul critère peut être considéré comme toujours présent : celui de la souffrance infligée. D.Fassin note au passage que cette souffrance imposée est un fait relativement nouveau historiquement, qui a succédé à la loi du talion d’abord, puis à celle de dette due à la victime et à la société, et que cette souffrance imposée est lié à la moralisation inspirée par le christianisme. 

Cela le conduit à poser la question sous une autre forme : « Pourquoi punit-on ? ».

Pourquoi punit-on ?

La théorie du droit distingue la définition du châtiment (qui se veut neutre quant aux valeurs) et la justification de celui-ci (qui implique un jugement moral). Dans la réalité, il parait bien difficile de s’en tenir à une distinction claire, d’autant que l’on pourrait distinguer la justification théorique posée par la loi, et la justification concrète a posteriori, celle du juge ou du policier, et pourquoi pas ensuite celle de l’observateur extérieur.

Quant à la théorie, ou plutôt les théories de la justification de la punition, puisqu’il en existe deux : une utilitariste, qui ne veut voir pris en compte dans le choix du châtiment que l’intérêt de la société et qui est donc tournée vers l’avenir, et l’autre rétributiviste, qui reste polarisée sur l’acte commis et sa juste rétribution, et qui s’en tient au passé.

La première vise à, soit empêcher l’auteur de commettre son acte, soit à le réformer en favorisant sa transformation, ou encore à offrir avec la peine un exemple tel qu’il puisse dissuader d’autres de le commettre. 

La seconde, apparait simple dans ses objectifs, elle ne vise qu’à faire souffrir celui qui est coupable. Pour Kant par exemple : «  La peine juridique ne peut jamais être considérée simplement comme un moyen de réaliser un autre bien, soit pour le criminel lui-même, soit pour la société civile, mais doit uniquement lui être infligée pour la seule raison qu’il a commis un crime »[6] . En cela, elle ne suppose qu’une appréciation interne de sa cohérence morale, puisqu’il ne s’agit que de choisir un mal équivalent à l’acte commis.

D .Fassin nous explique que ces deux théories apparemment inconciliables, sont souvent mêlées même dans la théorie et que par exemple, même les promoteurs du populisme pénal invoquent à la fois le caractère dissuasif et la sanction méritée.

Pour ce qui le concerne, sa conclusion sur ce point est finalement celle de Nietzsche « Il est impossible de dire aujourd’hui précisément pourquoi l’on punit »[7].

Les exemples vécus qu’il cite ensuite, visent bien à montrer que les décisions de justice sont plus complexes, et qu’il faudrait en fait examiner ce que leurs auteurs pensent avoir pris en compte et ce que l’on serait tenté de penser qu’ils ont en réalité pris en compte.

Et plus loin encore, ne constate-t-on pas que le châtiment ne procède pas autant que l’on veut le penser d’une logique rationnelle ? N’y a-t-il pas derrière, bien cachées, d’autres aspirations moins honorables. Le pas ne risque-t-il pas d’être vite franchi entre l’affirmation de Simone Weil (qui n’est pas citée là par D.Fassin) « Comme on dit de l’apprenti qui s’est blessé que le métier lui entre dans le corps, de même le châtiment est une méthode pour faire entrer la justice dans l’âme du criminel par la souffrance de la chair »[8]  et certaines conduites (dérivées ou non du désir de vengeance) qui conduisent à la volonté de faire souffrir à laquelle Nietzsche (cité lui par l’auteur) se réfère lorsqu’il parle  de « la volupté de faire le mal pour le plaisir de le faire » [9].

Qui punit-on ?

Mais tout ceci est moins impartial et juste que les théories philosophiques et le droit ne veulent bien le dire, et on s’en aperçoit en regardant de plus près la manière dont la loi s’applique.

Très vite la question se confond avec une autre : Que punit-on ? D. Fassin rejoint là E.Durkheim qui remarquait : « il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune ».

L’auteur recourt là largement à ses études antérieures menées sur le fonctionnement de la police et de la justice et il relève qu’en effet la sanction ne se déploie pas uniformément dans le champ social, et que les populations défavorisées se trouvent en final plus pénalisées que les autres. Cela ne repose pas sur un plan murement réfléchi du législateur, mais sur le choix effectif des faits qu’il va décider de punir. Ceux-ci sont de plus en plus souvent ceux qu’une population défavorisée vivant dans des conditions difficiles, exposée par son âge, son contexte de vie, sa situation au regard de l’emploi, de la vie sociale, est exposée à commettre.  S’y ajoute aussi le fait que l’attitude du juge lors de sa prise de décision variera selon les garanties matérielles présentées par l’auteur de l’acte.

Le résultat est bien là en tout cas et nombre de situations rencontrées le démontrent,  ce sont bien ces populations qui sont à risque effectif de faire l’objet de poursuites et d’enchainement péjoratifs. Bien au contraire on note la rareté des poursuites et la faiblesse des sanctions en cas de délinquance économique et financière. On ajoutera d’ailleurs, même si l’auteur ne le mentionne pas, la possibilité offerte de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui constitue clairement un privilège qui ne peut profiter qu’à des personnes appartenant à une catégorie sociale favorisée dans son statut social, ses connaissances, et plus proche de tous les types de pouvoir.

En conclusion

Voilà un ouvrage qui n’hésite pas à prendre de face une fausse évidence bien établie ; qui met en discussion une question sur laquelle nous vivons sans manifester aucun esprit critique, et sur laquelle nous acceptons d’être entretenus dans une sorte d’aveuglement. Les prisons sont surpeuplées : la solution est donc d’en construire de nouvelles. Seul vrai sujet de controverse : combien de places supplémentaires faut-il construire ?

Et nos acteurs politiques de donner des chiffres à la mesure du souci qu’ils veulent afficher de la sécurité de leurs concitoyens….

Et pourtant, cette conception du châtiment n’en arrive-t-elle pas à menacer l’ordre social ? «  Censé protéger la société du crime, le châtiment apparait de plus en plus comme ce qui la menace »[10] . Le coût de l’incarcération dans différents registres humain, social, économique, tel qu’il est cité plus haut (supra p.4) devrait à lui seul faire réfléchir.

Des voix se sont déjà élevées, ont émis l’idée que d’autres formes de sanction étaient possibles pour certains actes moins graves, ou que d’autres formes d’accompagnement des auteurs étaient possibles ; mais leur portée est restée bien limitée.

Voici donc un document fondé à la fois sur des faits et des expériences, mais aussi sur une réflexion alliant droit, sociologie et philosophie. C’est dans son caractère d’ouvrage étayant une vraie réflexion en profondeur sur des constats effectués sur le terrain que réside la vraie nouveauté, et c’est cette caractéristique qui dû lui donner un impact nouveau.

Force est de constater deux années après sa parution que le chemin qui permettra de « repenser le châtiment »[11]  reste à parcourir.

Le lecteur se pose au terme de la lecture une interrogation primordiale : que faut-il pour que ces réflexions soient entendues pour donner lieu enfin à un questionnement démocratique salutaire sur une question de cette importance ?

On mentionnera un petit regret qui ne remet nullement en cause l’intérêt majeur de cet ouvrage, celui que n’y soient pas abordées les alternatives possibles à la détention proposées depuis assez peu de temps par la législation, et qui sont en voie de développement – certes timide -, même si on sait que ça n’était pas l’objectif premier de l’auteur, qui est sociologue et anthropologue et non spécialiste de criminologie.


[1] Page 9

[2] Données Ministère de la Justice

[3] Page 15

[4] Page 16

[5] Page 43

[6] Page 88

[7] Page 93

[8] page 24 L’enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain S.Weil 1943

[9] Page 106

[10] Page 16

[11] Titre de la conclusion de l’auteur page 153

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