Catégorie : Pénitentiaire

Des associations et aumôneries agissent en prison

Des associations et aumôneries agissent en prison

Des associations

Ainsi, si l’Education nationale assure des cours à l’intérieur de la prison, des cours sont aussi dispensés par deux associations : AUXILIA et le GENEPI.

AUXILIA donne des cours par correspondance, mais aussi sur place. Une trentaine de personnes bénéficient des cours, en individuel ou en petit groupe ; une soixantaine de personnes bénéficient des cours par correspondance. Les niveaux sont très variés : de l’illettrisme à la préparation d’examens.

Le joli nom de GENEPI a été choisi pour sa symbolique : petite fleur qui pousse en milieu hostile. C’est aussi un sigle : groupement étudiant national d’enseignement pour les personnes incarcérées. Le GENEPI donne des cours de tous niveaux. Il anime des activités socioculturelles : arts plastiques, musique, ciné-débat. Il est investi également dans l’information et la sensibilisation du public, et notamment en collèges et lycées. Le GENEPI mène une réflexion permanente sur le système pénal et judiciaire.

Les besoins culturels sont aussi assurés par l’ASSEMALC (association socio-éducative de la Maison d’Arrêt de Lyon Corbas). Elle anime et co-finance des activités gérées par ses propres bénévoles : ateliers d’informatique, écrivain public, activités de couture, tricot, dessin, contes. Elle co-anime et co-finance des activités gérées par le SPIP : bibliothèques, canal vidéo interne, et aussi des manifestations de musique, théâtre, concerts, expressions corporelles. Elle a organisé le concours de dessins et poésies.

La CROIX ROUGE qui a de vastes champs d’intervention, nationalement et internationalement, a le souci de l’amélioration des conditions de détention, en particulier des plus démunies. Elle participe aux actions de l’association socio-éducative. Elle peut proposer aussi des actions qui lui sont spécifiques, comme une formation aux premiers secours, ou des prises en charge financières ponctuelles

Les personnes détenues peuvent être aussi des parents… Pour certains, leurs enfants viennent les voir dans le cadre du parloir familles, avec l’autre parent. Pour d’autres, la situation est plus délicate : situation de conflit entre les parents, divorce, enfants placés, par exemple. Le REP, relais enfants-parents, accompagne des enfants qui viennent voir leur père ou leur mère incarcérée, pour permettre que cette visite puisse se faire et se faire dans de bonnes conditions pour l’enfant et son parent. Le REP prend l’enfant en charge dans son lieu de vie, l’accompagne à la prison, est présent durant la visite, et réaccompagne l’enfant dans son lieu de vie.

Parmi les personnes détenues, un certain nombre sont de nationalité étrangère. La CIMADE, mouvement de solidarité avec les étrangers, pour la défense de leurs droits, les rencontre. Celles-ci, en effet, ont des problèmes particuliers, en tant qu’étrangers : renouvellement de leur titre de séjour, si elles étaient en situation régulière ; recours éventuels contre des mesures de renvoi : une personne en situation régulière peut faire l’objet d’une mesure de renvoi, en plus de sa peine de prison ; c’est ce qu’on a appelé la double peine.

Sont en prison aussi des personnes « sans papier »…c’est à dire sans titre de séjour, et en général, sans papier non plus de leur pays d’origine. Elles peuvent être en France depuis de nombreuses années, ou venir seulement d’arriver.

Certaines personnes étrangères sont incarcérées, en effet, pour des délits n’ayant trait qu’au droit au séjour : (absence de titre de séjour, cumulée avec une absence de document d’identité, ou bien utilisation de faux passeport, ou faux titre de séjour).

Pour les unes comme pour les autres, il s’agit, au regard de la situation précise de la personne, de l’informer des droits qu’elle a, ou n’a pas, de rester sur le territoire français, et de l’aider dans les démarches juridiques qu’elle souhaite faire ; renouvellement de titre, recours contre des mesures de renvoi, demande d’asile, ou aide au retour dans son pays….

Les personnes détenues le sont pour un temps donné. Des associations se préoccupent plus précisément de leur sortie.

Ainsi, COMPANIO rencontre les personnes détenues dans les deux mois qui précèdent leur sortie, afin de leur proposer un soutien et un accompagnement, dans les efforts qu’elles auront à faire pour trouver ou retrouver une place dans la société. Il s’agit d’un accompagnement individuel, sans limitation de durée, destiné à venir en aide aux personnes quand elles sortent de prison. Dans les difficultés qu’elles rencontrent alors (logement, travail, santé etc.) COMPANIO joue un rôle d’interface entre la personne accompagnée et les divers partenaires susceptibles de se mobiliser.

La FNARS intervient pour la sortie. Elle est une fédération qui regroupe notamment tous les CHRS (centre d’hébergement et de réadaptation sociale) qui ont vocation à aider à la réinsertion des personnes en difficulté sociale. Dès leur origine, les CHRS ont accueilli des sortants de prison. Ils accueillent aussi des personnes en aménagement de peine : PSE (placement sous surveillance électronique) et des personnes en placement extérieur.

Durant le temps de l’incarcération, les personnes détenues ont besoin de relations, d’échanges, pour vivre leur quotidien et préparer l’après prison. L’ANVP, association nationale des visiteurs de prison, contribue à répondre à ce besoin. 45 visiteurs, à Corbas, rencontrent régulièrement, chacun, en moyenne, 2 personnes détenues, à leur demande. Ces rencontres n’ont pas d’autre but, que d’être une rencontre. Une possibilité pour la personne détenue de pourvoir parler, être écoutée, faire des projets, avoir une relation suivie avec quelqu’un du dehors et maintenir ainsi un lien social.

Ce maintien de liens se fait aussi par courrier, avec le SECOURS CATHOLIQUE. Une de ses activités s’intitule en effet « amitié courrier » : une cinquantaine de bénévoles correspond régulièrement avec une centaine de personnes détenues.

Le SECOURS CATHOLIQUE apporte aussi un soutien financier, par le biais de la commission indigence. Ainsi, 80 à 90 personnes détenues, sans ressources, reçoivent 25 euros par mois. Cela leur permet d’avoir un minimum pour cantiner, des produits d’hygiène, ou alimentaires ou vestimentaires, sans subir les pressions d’autres personnes détenues.

Sont aussi membres du GLCP, les aumôneries qui assurent un rôle important, non seulement au niveau de la pratique religieuse, mais aussi dans le besoin de relations des personnes détenues.

Les aumôneries

Les Aumôneries : quatre aumôneries interviennent à Corbas, catholique, protestante, musulmane et israélite, sachant que pour cette dernière il y a un rabbin référent, qui vient au parloir avocat sur rendez-vous. L’aumônerie musulmane est assurée régulièrement chez les femmes par une aumônière. Un imam vient chez les hommes, mais pour le moment, il y a un déficit de présence par rapport aux besoins. Pour les aumôneries catholique et protestante, ce sont des équipes : prêtres, pasteurs, laïcs hommes et femmes (entre 15 et 20 personnes). Ces équipes assurent le culte, des rencontres bibliques, du chant choral, pour les chrétiens. Elles animent en commun des groupes de parole, ouverts à toutes les personnes détenues.

Les aumôniers ont aussi la particularité d’avoir accès aux personnes détenues dans leurs cellules. Ils assurent ainsi un grand nombre de visites en cellules ; à tous ceux qui le souhaitent, quelle que soit leur religion, ou sans religion. Ces visites peuvent durer de quelques minutes à plus d’1 heure. Ils sont là pour écouter, réconforter, créer du lien. La visite en cellule, c’est aussi un temps où la personne détenue peut « recevoir ». Grâce à ce qu’elle a cantiné, elle peut offrir à l’aumônier café, gâteaux.
Les aumôniers ont le souci d’être facilitateur de parole, de dialogue, entre les diverses personnes intervenant dans la prison.

Des représentants de plusieurs associations participent à des instances au sein de l’Administration pénitentiaire aux commissions « indigence » et « prévention suicide ».

Des actions communes sont menées par plusieurs associations, par exemple les confection, financement et distribution des colis de Noël.

L’accueil des familles

A l’origine, l’ACCUEIL SAN MARCO s’est créé pour répondre à un besoin bien précis : celui d’offrir un lieu abrité pour les familles qui stationnaient, par tous les temps, devant la porte de la prison en attendant l’heure du parloir. Un lieu où l’on trouvait des toilettes, la possibilité de prendre un café, de se poser un moment, à l’abri des intempéries. Un local avait été trouvé, juste en face des prisons Saint Paul-Saint Joseph. Depuis le déménagement à Corbas, l’ACCUEIL SAN MARCO est hébergé dans un local de l’Administration pénitentiaire. C’est un progrès, car c’est une reconnaissance par l’administration de la nécessité d’un tel lieu. Mais c’est un peu moins simple, car se retrouvent dans un même local, l’Accueil San Marco, les surveillants qui font l’appel des familles, un gestionnaire privé qui a en charge, les casiers, les bornes de prises de rendez-vous et la garde des enfants de plus de 3 ans, quand ils ne vont pas au parloir.

La 1ère démarche pour les familles est de faire une demande de permis de visite. Il faut constituer un dossier. L’ACCUEIL SAN MARCO assure donc l’information et l’aide à la constitution de ces dossiers et, quand le dossier est complet, le remet à l’administration. Les personnes ont la réponse par courrier, dans les 8-10 jours suivants, lorsqu’il s’agit de la famille proche et quand tout fonctionne normalement.

Ce lieu est aujourd’hui, un passage obligé : les familles déposent dans ce local les sacs et divers objets qui ne peuvent rentrer au parloir ; c’est là que se fait l’appel par le surveillant qui les fait entrer ensuite dans la prison. C’est là que se font les réservations pour les parloirs suivants.

Ce lieu, passage obligé, est aussi un lieu d’écoute et de partage. Le parloir est un moment capital, et pour la famille et pour la personne détenue, moment à la fois très attendu et redouté. L’angoisse est grande avant le premier parloir : c’est important de pouvoir en parler.

Tout cela peut se dire…se dit….dans des échanges individuels… L’équipe de l’ACCUEIL SAN MARCO est dans une écoute respectueuse, neutre et confidentielle ; tout peut se dire…se dit… entre les familles elles-mêmes. Elles sont toutes dans la même galère et ne se jugent pas. Elles échangent sur leurs vécus, leurs ressentis, leurs problèmes. Ce lieu d’accueil est ainsi lieu de partage.

Travailler en complémentarité

Les associations ont un conventionnement avec le SPIP ou l’Administration pénitentiaire, nationalement ou localement ; conventionnement qui régit leurs modalités d’intervention, et leurs obligations. Une fois ce cadre posé, elles gardent leur indépendance et leur autonomie d’action. Elles s’inscrivent toutes dans une démarche éthique et universelle fondée sur les droits de l’Homme. Elles travaillent avec les différentes instances de l’Administration et le SPIP en particulier. Elles sont aussi amenées à interpeller les autorités concernées si elles sont témoins de dysfonctionnement.

Dans chaque association, les intervenants bénéficient de formation, de soutien, de temps d’échange et de réflexion, sur leurs pratiques.

Beaucoup de monde franchit tous les jours les portes de la prison. Ce franchissement est important, comme lien entre le dedans et le dehors. Si la personne détenue subit une peine privative de liberté, c’est-à-dire la privant de la liberté d’aller et venir, il est important qu’elle ne soit pas privée de tout ce qui permet une vie humaine et digne. Cela pour 2 raisons essentielles :

1ère raison : Quelle que soit la gravité de l’acte commis, une personne n’est jamais réductible à ses actes. Elle doit être respectée et traitée avec dignité.

 2ème raison : Si la société veut éviter la récidive, il est important de se comporter avec la personne détenue, comme on attend qu’elle se comporte envers les autres.

Dit autrement, comment demander à quelqu’un de se comporter en citoyen respectueux de la loi et de ses semblables, si soi-même, si l’institution ne respecte pas ses droits, n’est pas respectueuse à son égard ? Dans nos pratiques, nous sommes attentifs à tout ce qui peut mettre du lien humain, entre les partenaires, les surveillants, tous les divers intervenants. Nous pensons important la formation, à ce niveau, de tous, bénévoles ou professionnels.

Nous sommes attachés à tout ce qui peut permettre l’humanisation des prisons, à ce qui permet plus de respect de la dignité des personnes. Les conditions matérielles et d’organisation sont en cela très importantes. Mais les conditions de liens humains le sont grandement aussi.

Le monde de la prison, bien que les nouvelles prisons soient construites loin de lieux habités, ne doit pas rester étranger à la société. Tout ce qui favorise la communication à l’intérieur, mais aussi entre l’intérieur et l’extérieur, est important. Pouvoir parler, s’exprimer, dialoguer, communiquer, individuellement, et collectivement est essentiel.

Julienne Jarry, coordinatrice du GLCP, 24 novembre 2010

PS : à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, intervient également le CLIP qui donne des cours d’informatique et a, en permanence, une trentaine de détenus stagiaires. Ces stages durent environ 6 semaines, à raison de 12 heures/semaine et ensuite une trentaine de nouveaux stagiaires.

L’emploi au coeur du parcours des détenus

L’emploi au coeur du parcours des détenus

En février 2020, la ministre de la Justice a présenté un projet très novateur élaboré par ses services, qui vise à créer trois prisons expérimentales centrées sur la formation et le travail en lien avec les entreprises locales et les collectivités territoriales.

LE PROJET InSERRE : « INNOVER PAR DES STRUCTURES EXPERIMENTALES DE RESPONSABILISATION ET DE REINSERTION PAR L’EMPLOI »

Le constat

Si la prison est nécessaire pour sanctionner les faits les plus graves, elle doit être aussi une étape pour préparer le retour à la vie libre.

Les données figurant dans le rapport du Comité Economique Social et Environnemental du 26/11/2019 sont accablantes : sur l’ensemble des personnes en détention en 2019, ce sont seulement 28 % qui ont pu exercer une activité rémunérée, et 14% qui ont bénéficié d’une formation professionnelle, ceci alors que 76 % d’entre eux n’ont qu’un niveau d’études inférieur ou égal au CAP.

Le projet InSERRE

  • Création de 3 prisons de 180 places chacune, construisant des partenariats avec des entreprises du numérique, du développement durable et des services à distance
  • Avec des comités locaux de pilotage et une construction à l’horizon 2022
  • Et des objectifs spécifiques :
  • 100 % des détenus au travail, en formation ou engagé dans un parcours professionnalisant avec une alternance entre le travail et la formation
  • une organisation tendant à la responsabilisation des détenus    
  • une préparation à la sortie et l’entretien de relations avec l’extérieur pour éviter les ruptures dans les parcours de réinsertion.

Ce projet a fait l’objet du concours financier du fonds de transformation de l’action publique.

Les trois candidatures retenues

Le projet d’Arras dans le Pas-de-Calais va être lancé sans délai. Les projets de Donchery dans les Ardennes, et Toul en Meurthe-et-Moselle dont les travaux débuteront en 2022 et 2023.

A cette occasion, Madame Belloubet a tenu à insister sur quelques points forts du plan pénitentiaire :

  • Si l’objectif reste que les peines d’emprisonnement supérieures à un an soient réellement exécutées, on devrait éviter que soient prononcées des peines inférieures à 6 mois, qui sont souvent désocialisantes. Ces courtes peines, près de 90 000 au plan national, génératrices de surpopulation carcérale en maison d’arrêt, peuvent se voir substituer un accompagnement et des mesures de contrôle à l’extérieur des murs, notamment sous bracelet électronique.
  • La création de 7 000 nouvelles places de prison pour 2022, visant à améliorer les conditions de détention, permettre une meilleure individualisation de la peine et favoriser la réinsertion des détenus en les restaurant dans leur rôle de citoyen.
  • Par ailleurs, seront encore créées 2 000 places en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS). Dans ces établissements qui accueilleront des condamnés dont la peine ou le reliquat de peine est inférieur à deux ans, les régimes de détention seront adaptés en fonction des profils, parcours et objectifs de réinsertion pour préparer le retour à la vie libre. Une SAS est opérationnelle à Marseille, et celles de Poitiers, Bordeaux et Longuenesse ouvriront prochainement leurs portes.

Source

Ministère de la Justice : dossier de presse

Première évaluation d’ensemble des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA)

Première évaluation d’ensemble des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA)

Par lettre de mission du 5 avril 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice et la ministre des solidarités et de la santé ont confié à la cheffe de l’inspection générale des affaires sociales et au chef de l’inspection générale de la justice une mission conjointe relative à l’évaluation de la première tranche des UHSA en vue de l’installation d’une seconde tranche.

Que sont les UHSA ?

Les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002, sont des unités de soins qui accueillent des personnes détenues des deux sexes, mineures et majeures souffrant de troubles psychiatriques et nécessitant une hospitalisation avec ou sans leur consentement. Elles sont toutes implantées dans des établissements publics de santé mentale et enserrées par une enceinte pénitentiaire.

Objectifs de la mission

La mission a visité l’ensemble des UHSA en activité et a conduit des entretiens tant avec les équipes soignantes et pénitentiaires qui travaillent au quotidien dans ces structures, avec des patients détenus hospitalisés dans ces unités comme avec les acteurs de leurs environnements institutionnels.

Quelques conclusions

Outre les variations des profils cliniques la mission a relevé la grande hétérogénéité d’organisation et de fonctionnement des unités liée tant aux projets médicaux qu’aux particularités locales. L’absence de pilotage territorial et national, conduit à exclure les patients des UHSA des parcours de soins ou induit des admissions inappropriées. Alors qu’elles étaient très attendues, les prises en charge des urgences constituent plus l’exception que la règle.

Dix-huit recommandations

À l’issue de ces investigations, 18 recommandations ont été formulées par la mission conjointe. Avec au cœur, la nécessité de mener un exercice de planification des futures UHSA dans une double perspective d’amélioration du parcours de soins du patient-détenu et d’inscription dans une offre graduelle de soins psychiatriques de droit commun. Cette approche devrait s’accompagner d’un engagement dans une démarche de certification des UHSA par la Haute autorité de santé (HAS). Cette démarche pourrait partir d’une confrontation des pratiques professionnelles et d’une réflexion sur leur possible harmonisation dans le cadre d’une conférence de consensus réunissant les acteurs concernés, sanitaires, judiciaires et pénitentiaires.

Pour aller plus loin

Le texte complet du rapport

Les annexes du rapport
Neuf UHSA sont opérationnelle en France depuis mars 2018

Neuf UHSA sont opérationnelle en France depuis mars 2018

Note rédigée par Vincent Feroldi

Début 2016, sept Unités hospitalières spécialement aménagées (Lyon-Bron, Toulouse, Nancy-Laxou, Fleury-les-Aubrais, Villejuif, Lille-Seclin et Rennes) fonctionnaient en France. Il a fallu attendre le 18 juillet 2016 pour voir s’ouvrir à Cadillac, en Gironde, la huitième unité comme le montre un reportage de France Bleu Gironde.

Le neuvième a ouvert à Marseille en 2018. Les travaux se sont achevés en mars 2017 pour un montant total de 12.693.000 € HT. Son inauguration a été retardée par suite d’un mouvement des gardiens de prisons de janvier 2018 et  une grève des internes en psychiatrie.

L’UHSA de l’AP-HM a en effet accueilli son premier patient le 6 février 2018, prenant en charge des personnes incarcérées en PACA Corse et nécessitant des soins psychiatriques en hospitalisation complète.

L’UHSA a été bâtie sur le site du Centre Hospitalier Edouard Toulouse. Sa construction et son exploitation sont assurées par l’AP-HM. Elle est rattachée à l’Hôpital Nord tout comme l’UHSI (Unité Hospitalière Sécurisée de Interrégionale destinée à l’hospitalisation somatique des personnes détenues).

Au total, 17 UHSA devraient être créées en France pour une capacité totale de 705 places. L’UHSA de l’AP-HM fait partie des 9 UHSA de la première tranche (soit 440 places).

Sur la base du schéma national, l’UHSA est composée de 60 lits répartis en 3 unités de 20 lits pour l’hospitalisation psychiatrique des personnes détenues des régions PACA et Corse (17 établissements pénitentiaires, départements 13, 83, 84, 04, 05, 06, Corse). A ce jour, l’UHSA a ouvert une unité de 20 lits les deux autres unités ouvriront en mai et juin prochains.

2010 : ouverture de la 1ère UHSA à Lyon

Ainsi l’UHSA du centre hospitalier spécialisé Le Vinatier de Bron, près de la ville de Lyon, a été la première d’une série d’unités spécialement aménagées pour la prise en charge psychiatrique des personnes détenues, avec ou sans leur consentement. Ouverte en mai 2010, elle a aujourd’hui une capacité effective de 60 lits.

Elle comporte trois unités de 20 chambres individuelles, chacune de ces unités répondant à des fonctions spécifiques. Les conditions de séjour sont, à bien des égards, excellentes. Les chambres, qui disposent d’une annexe sanitaire intégrée, offrent espace, lumière et aération aux patients. Certains aménagements ont été particulièrement bien pensés : les chambres disposent par exemple d’un panneau mural permettant de personnaliser l’environnement immédiat (photos, affiche, etc.), d’un poste de télévision placé dans un espace anti-dégradation, et de boutons d’appel installés au mur et au lit. Mais les patients, habitués à la vie en détention, expriment trois sources de difficultés :

  • l’interdiction de pouvoir fumer dans les chambres, et la limitation à trois promenades d’1/2h par jour pendant lesquelles ils peuvent fumer ;
  • l’interdiction d’avoir en chambre un lecteur de CD ou de DVD, alors que bien des patients passent en chambre la majorité de leur temps, la porte de la chambre étant fermée à clé ;
  • la possibilité de ne pouvoir acheter que des produits d’hygiène, du tabac et quelques confiseries, alors que beaucoup aimeraient pouvoir « cantiner » boissons gazeuses, laitages, biscuits salés, etc.

La première unité, destinée à l’accueil et à l’observation des patients nécessitant une prise en charge intensive, a été ouverte le 18 mai 2010. La deuxième unité, destinée aux soins individualisés en cas d’épisodes aigus ainsi qu’à l’accueil des personnes nécessitant une protection, a été ouverte le 19 juillet 2010. La dernière unité, destinée à assurer la prise en charge des pathologies de longue évolution et à préparer les personnes détenues à leur sortie, est opérationnelle depuis le 1er décembre 2010.

L’UHSA du centre hospitalier Le Vinatier de Bron a la particularité de regrouper deux types de personnels : le personnel hospitalier chargé des soins et le personnel pénitentiaire chargé de la surveillance. Pour ce qui est du personnel hospitalier, l’équipe médicale couvrant l’ensemble de la zone de soins de l’UHSA (60 lits) est constituée, en plus du médecin-chef, de quatre praticiens hospitaliers (psychiatres), d’un interne et d’un médecin généraliste. L’équipe soignante assure, dans chaque unité d’hospitalisation de 20 lits, une présence de cinq soignants en journée (dont au moins deux infirmiers) et de quatre soignants en période nocturne. La nuit et le week-end, un médecin du Service médico-psychologique régional de la maison d’arrêt de Lyon Corbas est d’astreinte.

Le CPT était préoccupé par le fait que, fin 2010, l’équipe « psychosociale » n’était pas constituée. Cette équipe doit être composée notamment d’un ergothérapeute, d’un éducateur sportif et d’un psychomotricien, ainsi que d’un éducateur spécialisé ; au moment de la visite, il n’y avait que deux psychologues qui travaillaient à temps plein. Début 2012, en raison d’un léger « turn-over », les effectifs sont quasiment au complet à l’UHSA du centre hospitalier Le Vinatier.

L’équipe de surveillance compte aujourd’hui trente-cinq agents qui assurent une présence de sept surveillants, encadrés par un premier surveillant, en journée, et une présence de quatre surveillants, sous la responsabilité d’un premier surveillant, en période nocturne. L’équipe travaille par tranche de 12 heures et compte trois membres de sexe féminin.

Le taux d’occupation de l’UHSA du Vinatier a évolué avec l’ouverture progressive de trois unités, passant de 80 % en moyenne sur l’année 2010 à 83 % au cours du premier semestre 2011. Début 2012, ce pourcentage dépasse régulièrement les 90 %. La durée moyenne de séjour est de 45 jours, et la durée médiane de 27 jours, selon les statistiques établies à partir de la situation des patients ayant quitté l’UHSA au cours du premier semestre 2011.

L’un des objectifs assigné à cette unité est que la majorité des hospitalisations soient réalisées avec le consentement des patients. En 2011, 59 % des hospitalisations ont été effectuées avec leur consentement, contre 52% en 2010. Si l’on observe que le « taux de consentement » à l’admission en soins psychiatriques s’établit à 85 % dans la population générale, et que l’on tient compte par ailleurs des pathologies psychiatriques propres à la population détenue, il n’est pas déraisonnable d’estimer cet objectif est en passe d’être atteint. Seule permettra toutefois de le vérifier avec certitude la montée en charge progressive du programme d’ouverture des autres UHSA.
Selon les termes du projet médical, une large palette de soins institutionnels, basés sur l’expression ou les activités occupationnelles ou artistiques, est proposée :

  • centrage sur le corps avec l’importance de la psychomotricité et d’une réappropriation corporelle par de la balnéothérapie ;
  • travail psychique avec les diverses formes de psychothérapie individuelle ou groupale ;
  • travail de réappropriation des habiletés et de la vie sociale avec l’ergothérapie et par le biais d’activités éducatives (buanderie, activité cuisine…) ;
  • ouverture sur le monde par le biais d’une médiathèque ;
  • plateau sportif varié où les patients peuvent jouer au basket, au volley, au badminton…

L’accès à la cour et au plateau sportif a évolué depuis l’ouverture et, en 2012, la cour-jardin du rez-de-chaussée est utilisée de 9h30 à 16h30. L’accès dure 30 minutes par patient. Quatre patients peuvent y accéder en même temps, sans présence soignante ; au-delà, ils sont accompagnés par des soignants. La cour-jardin de l’unité du rez-de-chaussée est en accès libre. Le plateau sportif est utilisé de manière fixe ou aléatoire par chacune des unités, en présence d’un moniteur sportif. Six patients accompagnés de soignants peuvent s’y trouver de manière concomitante.

De la sécurité

Aux membres du CPT qui s’étonnaient de la présence de barreaux aux fenêtres des chambres des patients et qui estimaient que les fenêtres des chambres des patients des UHSA ne devraient pas être équipées de tels barreaux, et ce afin de faire prévaloir une logique de soins plutôt qu’une logique pénale, soulignant que d’autres dispositifs de sécurité permettaient une protection équivalente, le gouvernement français a répondu : « Le cahier des charges techniques du 11 octobre 2006, validé par les administrations hospitalière et pénitentiaire, a prévu le « barreaudage » des fenêtres extérieures de l’UHSA. S’il apparaît difficile, au moins à brève échéance, de remettre en cause ces aménagements répondant à des considérations de sécurité, il n’en demeure pas moins que la logique de soins prévaut de façon incontestable à l’UHSA, et cela sans que la seule présence de barreaux puisse suffire à remettre en cause ce constat ».

Quant à la possibilité d’installer des caméras de vidéosurveillance dans des chambres ou locaux de soins mentionnée dans la circulaire interministérielle relative au fonctionnement des UHSA – et dans ce cas, cette surveillance est obligatoirement exercée par du personnel infirmier-, il est bon de savoir qu’à ce jour (printemps 2012), aucune caméra n’a été installée dans les chambres de l’UHSA du centre hospitalier Le Vinatier, non plus que dans aucune autre des UHSA construites dans le cadre du programme de développement de ces unités. De fait, il n’existe pas de raison pour que de tels équipements soient installés dans les chambres ordinaires. On ne peut exclure cependant qu’une caméra puisse être ponctuellement installée dans une chambre pour prévenir la survenance d’incidents, par exemple dans le cas d’un patient présentant un fort risque « d’auto-agressivité ».

Le développement des UHSA

La première tranche de ce programme, prévue initialement pour s’étaler jusqu’en 2014, aboutira en 2017 (si tout va bien) à la création de 440 places d’hospitalisation en UHSA, réparties de façon équilibrée sur le territoire, en fonction de l’arrêté du 20 juillet 2010 du ressort territorial des UHSA.

Sur le modèle de l’UHSA de Lyon-Le Vinatier, qui compte 60 places, deux nouvelles unités de 40 places ont ouvert au début de l’année 2012 à Toulouse (janvier) et Nancy (mars). Une autre de 40 places s’est ouvert près d’Orléans en mars 2013. S’y ont ajouté, au cours du premier semestre 2013, deux autres UHSA d’une capacité de 60 places chacune : dans la région francilienne et à Lille. En septembre 2013 a été ouvert l’une unité de 40 places à Rennes  : elle est installée au CHS Guillaume-Régnier. Le 18 juillet 2016, a ouvert l’UHSA de Cadillac, en Gironde ; près de 120 personnes assureront la prise en charge des 40 patients, répartis en deux unités de 20 lits chacune, nommées « Épernon » et « Figaro ». Enfin, s’est ouvert à la veille du printemps 2018 l’UHSA de Marseille (60 places).

A l’occasion du deuxième anniversaire de l’ouverture du premier UHSA en France et de la publication du Rapport 2012 sur la France du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe et de la réponse du gouvernement français à ce rapport, l’opinion publique a pu prendre connaissance de ce qu’est une UHSA (Unité hospitalière spécialement aménagée) et quel développement est prévu en France pour ce type de structure.

La seconde tranche de construction devrait quant à elle permettre la création de 265 places supplémentaires, correspondant à neuf unités dont l’implantation et la capacité doivent encore faire l’objet d’études pour tenir compte du programme immobilier de la direction de l’administration pénitentiaire, actuellement en cours de révision.

Le projet de loi de finances pour l’année 2013 a permis d’avoir des informations sur les futures ouvertures : Les structures de soins dédiées aux personnes détenues : quel bilan ?

La Commission des affaires sociales du Sénat présente son rapport sur les UHSA opérationnelles en juillet 2017

Le 5 juillet 2017, la Commission des affaires sociales du Sénat a présenté un rapport d’information sur les UHSA car elle estime que ces unités sont un dispositif très spécifique destiné à apporter une réponse à un problème grave : la prise en charge psychiatrique des personnes détenues. Ce rapport loue le travail accompli et les qualités professionnelles des équipes soignantes et de celles de l’administration pénitentiaire qui permettent donc aux UHSA d’assurer les missions qui leur ont été confiées. Elle constate que la première vague de construction des UHSA s’est avérée particulièrement lente et la deuxième vague n’a pas été engagée.
En effet, le programme aurait dû s’étaler entre 2008 et 2011, mais sur les neuf unités de la première tranche, qui comporte 440 lits, trois unités ont ouvert entre 2010 et 2012, quatre seulement en 2013 et une en 2015. Celle de Marseille vient tout juste d’ouvrir.
La deuxième vague devrait apporter 300 places supplémentaires et voir notamment la création de trois établissements dans les outre-mer.

« Faut-il l’engager ? » se demandent les trois rapporteurs. Ils répondent que  » oui, nous le pensons toutes les trois, mais sous certaines conditions : poursuivre le travail de coordination entre les UHSA pour permettre d’identifier leurs problèmes communs et de définir les meilleures pratiques, prévoir de présenter les missions et le fonctionnement des UHSA aux magistrats dès leur formation et organiser des contacts plus fréquents entre eux et les équipes des UHSA afin qu’ils connaissent leur rôle exact ».

Le texte complet du rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat est disponible. Pour le lire, cliquez ici.

Plusieurs rapports de visite des UHSA ont été publiés par le CGLPL

Depuis l’ouverture de la première UHSA à Lyon, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et ses équipes ont visité une fois certains UHSA et même parfois deux fois : Lyon, Seclin, Villejuif.

Les rapports de ces visites permettent de percevoir ce qu’est la vie dans de telles unités de soin et comment se conjuguent la prise en compte des patients et les contraintes liées à un emprisonnement.

Voici la liste exhaustive de ces rapports au 20 février 2020 à consulter en ligne en cliquant sur le titre :

* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée de Marseille (Bouches-du-Rhône) (Visite du 3 au 7 septembre 2018)
* Rapport de la deuxième visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Seclin (Nord) (Visite du 7 au 10 mars 2016)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Seclin (Nord) (Visite du 12 au 15 mai 2014)
* Rapport de la deuxième visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon (Rhône) (Visite du 8 au 11 février 2016)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon (Rhône) (Visite du 24 au 27 avril 2011)
* Rapport de la deuxième visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Villejuif (Val-de-Marne) (Visite du 25 au 26 janvier 2016)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Villejuif (Val-de-Marne) (Visite du 14 au 17 avril 2014)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Rennes (Ille-et-Vilaine) (Visite du 1er au 4 décembre 2014)
Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) d’Orléans (Loiret) (Visite du 13 au 16 mai 2013)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Nancy (Meurthe-et-Moselle) (Visite du 12 au 15 mars 2013)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Toulouse (Haute-Garonne) (Visite du 9 au 13 décembre 2013)

Pour aller plus loin

Sources : Ministère de la justice, CGLPL et  Site du CPT

Au 1er janvier 2020 : 70.651 personnes incarcérées en France

Au 1er janvier 2020 : 70.651 personnes incarcérées en France

Noté rédigée par Vincent Feroldi

Le nombre de détenus dans les prisons françaises est en baisse par rapport au chiffre d’octobre 2019 (70.818) mais en augmentation par rapport au 1er janvier 2019 (70.059), avec 71.061 personnes incarcérées, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire publiés le 31 janvier 2020. Ainsi, 82.860 personnes étaient placées sous écrou, dont 12.209 sous surveillance électronique ou à l’extérieur.

Le nombre très symbolique de 70.000 détenus dans les 187 établissements pénitentiaires de France (départements et territoires ultramarins compris) avait, lui, été atteint en avril. Avec plus de 70.000 détenus pour 61.080 places opérationnelles, la densité carcérale s’établit désormais à 115,7 % dans les prisons françaises, qui souffrent d’une surpopulation chronique, contre 116,5 % un an plus tôt.

Cette augmentation s’explique surtout par une forte hausse du nombre de personnes prévenues en détention ; elles représentent aujourd’hui 29,8% des personnes détenues.

Le nombre de personnes écrouées non détenues est en augmentation de 9,1% par rapport au 1er janvier 2019. Il y a une petite hausse du nombre de placements sous surveillance électronique (11.558) mais on est en dessous du chiffre de juillet 2019 : 11.615. Quant aux personnes en placement extérieur non hébergés, elles sont 651.

Pour finir, depuis le record de 894 mineurs détenus en juillet 2019, la baisse du nombre de mineurs écroués se poursuit avec 816 mineurs.

La densité carcérale, à 115,7 %, reste stable sur l’ensemble des Directions Interrégionales et des établissements.

Pour avoir l’ensemble des données chiffrées, rendez-vous sur le site du Ministère de la Justice en cliquant ici.

La mesure mensuelle de l’incarcération au 1er octobre 2018 est accessible ici.

« La force de la loi, l’humanité du juge » Isabelle Rome

« La force de la loi, l’humanité du juge » Isabelle Rome

Conférence débat – 31 janvier 2020Lyon

Isabelle ROME, magistrate, haute fonctionnaire à l’égalité Femmes-Hommes au Ministère de la Justice, et auteure

Le vendredi 31 janvier au Novotel de Bron, environ soixante-dix personnes étaient présentes avec Isabelle ROME, qui proposait un exposé autour du thème « La force de la loi, l’humanité du juge ».

Un parler vrai, un exposé brillant et plein d’humanité, où les questions de fond se mêlaient aux questions d’actualité, a permis de percevoir les enjeux éthiques et humains que tout acte de jugement implique. Voici un écho de cet exposé.

La loi nous protège

Elle protège la société mais il reste au juge à l’interpréter en fonction des faits et des personnes. L’appréciation des faits se fait aussi en tenant compte de la personnalité du justiciable. La loi pénale doit être appliquée à la lettre, mais il est nécessaire d’avoir tous les éléments (caractère du délit, preuves de la responsabilité, de l’intentionnalité) pour juger. Si un élément n’est pas présent, le juge a nécessité de le faire exister par les questions qu’il va poser.

Quand le justiciable est dans une dénégation, c’est difficile à entendre et difficile à juger. Dans ce cas, il est encore plus nécessaire de garder en tête les grands principes fondamentaux et les critères donnés par le code de procédure pénale.

Pour les personnes récidivistes, il est important de regarder aussi comment ne pas attenter à leur liberté pour que la sanction soit proportionnée à l’acte commis, cela veut dire tenir compte des actes antérieurs, du temps déjà passé en prison, et de la gravité de l’acte à juger.

Pour un juge, c’est rassurant, de pouvoir se dire qu’on a interprété la loi le mieux possible. Et là, c’est tout l’intérêt de l’écriture de la motivation de la décision, devenue aujourd’hui obligatoire. On peut penser qu’on s’est trompé, mais se dire « J’ai appliqué la loi à la lettre, j’ai laissé le moins possible la place à mon arbitraire » ; cela donne une meilleure conscience.

Quelques points concrets d’actualité

On parle beaucoup de « féminicide », à la lettre, c’est tuer une femme parce que c’est une femme. Dans le meurtre d’une femme par son conjoint : ce qui est mis en cause c’est le lien conjugal ; l’homicide sur conjoint, ça existe dans la loi et il est requis de façon générale une condamnation à perpétuité.

Si on créait une loi « spécifique » pour les féminicides, ça voudrait dire que dans une cour d’assises, il faudrait répondre, non seulement aux questions sur les circonstances du meurtre, la personnalité de l’accusé, mais aussi à la question « est-ce que la mort a été donnée parce que c’est une femme ? » et là ça devient impossible à évaluer – créer une loi pour les féminicides, c’est sans doute une fausse bonne idée.

Dans la justice, il y a eu aussi des avancées dans une compréhension psychologique. Les juristes ont mis plus de temps à prendre conscience des mécanismes qui se jouent chez les femmes victimes, notamment concernant l’emprise, la domination et les dépendances affectives. Avant, on considérait les femmes comme ambivalentes, alors qu’aujourd’hui, on sait que ça fait partie de ce processus du fait d’être victime. Maintenant, la prise de conscience que ce n’est pas normal de faire violence, voire de tuer une femme et encore moins de se faire agresser est beaucoup plus présente. La formation des magistrats est nécessaire, sans doute aussi pour faire entrer les termes dans la loi et le code pénal.

Un autre point qui fait actuellement débat : «la possibilité pour le soignant de déroger au secret médical ». Pourquoi ? 

Il y a un constat : un certain nombre de femmes meurent, alors qu’elles avaient consulté plusieurs fois mais aucun signalement n’avait été fait. Face à cela la Justice s’est remise en cause, et il a été demandé à l’Inspection générale de la Justice de mener une enquête approfondie.

Sur soixante homicides ayant été jugés, six victimes avaient un cheminement médical avant le coup fatal. Les soignants peuvent porter les faits devant la justice, s’ils considèrent qu’il y a un danger vital immédiat et que la victime est sous emprise. Cette notion d’emprise est encore à décrire.

Une posture éthique

Le Juge ne peut s’exprimer sur les affaires qu’il a jugées et sur ses motivations, du moins au-delà de la motivation écrite de sa décision. Il ne peut pas commenter une décision de justice dans les medias même en réponse à des attaques.

Au cours du procès, la motivation qu’il va mettre en avant devant la cour et l’accusé est déterminante et va permettre la mise en œuvre du principe contradictoire.  C’est lui qui va ouvrir au débat, il y a donc une vraie éthique de la motivation. Cela implique que ce qui est présenté soit lisible et compréhensible, par tous, les jurés, les avocats, les accusés, les plaignants, et les gens dans la salle. Il ne doit blesser aucune des deux parties et ne pas hypothéquer l’avenir des justiciables par des commentaires inutiles.

L’application de la loi, c’est aussi une manière d’être à l’autre. C’est toujours un humain en face d’un humain, et on ne peut l’oublier. La loi est toujours au service de l’humanité et de la société, c’est un outil de paix sociale. Le juge doit toujours regarder la personne accusée en face au moment de l’énoncé de la sentence, et aussi la société. Isabelle Rome dit être portée par la philosophie d’Emmanuel Levinas : l’expérience d’autrui prend la forme du visage. Envisager l’autre dans sa singularité, sans oublier que chaque être s’inscrit dans un espace social. D’autres philosophes nourrissent aussi sa réflexion, notamment J.J. Rousseau : « De toutes les vertus, la justice est celle qui contribue le plus au bien commun des hommes. » et Pascal : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. »

La loi est un outil au service d’un mieux vivre ensemble au service de l’humanité

On a fait évoluer l’émancipation des femmes depuis l’après-guerre. Parfois, la loi booste l’évolution des mœurs. Par exemple, la parité en politique et dans les conseils d’administration. Ce qu’on entend : « On privilégie les femmes et pas la compétence », ou bien : « On n’en trouve pas, pas de disponibles… ». Cependant, on constate qu’il y a 40 pour cent de femmes actuellement à l’assemblée, en 1997, il y en avait seulement 12 pour cent.

D’autres exemples interrogent aussi les pratiques, en particulier dans le cas de condamnation d’un parent pour homicide ; quelle serait la possibilité de suspendre l’autorité parentale ? Pourrait-on faire entrer dans les mœurs de la justice, la possibilité de suspendre l’autorité parentale du condamné, et suspendre le droit de visite, ce qui n’est pas forcément le cas actuellement. Comment garantir la liberté individuelle sans nuire à d’autres personnes de l’entourage ?

On ne peut jamais brandir le droit comme un étendard. C’est toujours la recherche d’un mieux vivre ensemble.

Des questions de société demeurent

Comme juge des libertés, le maintien des étrangers en détention fait apparaitre des vrais dilemmes, mais il est parfois difficile de faire autrement.

Par ailleurs, certaines polémiques sont violentes. Notamment, autour de la laïcité, « quand je vois une jeune femme voilée empêchée d’accompagner une sortie scolaire. Cela a un effet dévalorisant. Il est important de penser aux enfants et à leur ressenti de l’exclusion de leur mère, se resituer par rapport à la personne humaine. »

« Le blasphème ne doit pas exister dans une société laïque. Pour autant, avec la diversité culturelle, je ne peux blasphémer parce que je respecte ceux que je connais ».

La conscience de l’autre peut nous responsabiliser.

Nous sommes tous responsables de tous et devant les autres.

La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes

La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes

Note élaborée par Alain Chalochet

Saisi par le Premier ministre sur la question de la réinsertion des personnes détenues, le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) a élaboré un rapport qui fait suite à un avis qu’il avait émis en 2006, dans lequel il s’inquiétait de retards pris dans la concrétisation de l’objectif de réinsertion.

Dans ce récent rapport, le CESE relève des points favorables intervenus depuis : la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la consécration de la mission de réinsertion confiée aux Services pénitentiaires d’insertion et probation (SPIP), le renforcement de l’individualisation des peines.

Mais, il relève que le nombre de personnes détenues continue à s’accroitre, sans lien avec l’évolution de la délinquance. Les personnes détenues sont aujourd’hui près de 71 000. Plus de 20 000 vivent dans une structure pénitentiaire (sur)occupée à plus de 150%. Dans les maisons d’arrêt, le taux d’occupation moyen dépasse 138%. Dans ce contexte, la priorité de l’administration pénitentiaire, à savoir la sécurité passe avant la préparation de la réinsertion.

Le CESE met en exergue des points dont il regrette l’insuffisante connaissance par le public :

– La détention ne contribue pas à la réduction de la délinquance et de la récidive

– Son coût est bien plus élevé que celui des alternatives à la détention, qui sont insuffisamment utilisées, comme les aménagements de peine

– Les populations jeunes, défavorisées, précaires, en mauvaise santé sont surreprésentées dans les prisons

– La détention les prive souvent de leurs droits, de leur capacité d’exercer un emploi et d’assumer leurs responsabilités, et elle accentue leur précarité

– Elle désocialise, déresponsabilise, conduit plus à la désinsertion qu’à la réinsertion

Tout ceci conduit le CESE à souhaiter des changements en profondeur.

Vous trouverez d’abord, un état des lieux de la détention et des autres mesures de justice, états des lieux sur lequel le CESE se fonde pour établir ensuite ses propositions. Ensuite, ce sont les préconisations du CESE qui seront présentés telles qu’il les a lui-même formulées.

La représentation des Français sur la prison

La représentation des Français sur la prison

Article proposé par Alain Chalochet

Les Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques ont publié une nouvelle étude des représentations des Français sur la prison. L’objectif était de mettre à jour la perception par la population d’une institution qui peut apparaître opaque depuis l’extérieur, et de chercher à en appréhender les caractéristiques socio-démographiques.

Synthèse établie à partir des Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n° 49 Septembre 2019 Direction de l’administration pénitentiaire
Document intégral

Méthodologie

L’enquête de 2018 sur les représentations des Français de la prison est la 4ème édition d’une étude lancée par le Genepi en 1995, entièrement reprise par le bureau des statistiques et des études de la Direction de l’Administration Pénitentiaire depuis 2007, avec la sous-direction des statistiques et des études du ministère de la Justice. Il s’agit d’un questionnaire visant les personnes majeures résidant en France métropolitaine, pratiqué de façon aléatoire par téléphone en mai et juin 2018. Conduit par l’institut Ipsos auprès de 3002 personnes. Les thématiques : les représentations des Français des personnes en prison (personnes détenues et personnels de surveillance), les conditions de vie en prison, la justice pénale et les évolutions souhaitées.

Une représentation assez réaliste des caractéristiques socio-démographiques des personnes détenues

Les Français se représentent une population détenue comme une population jeune, principalement masculine, avec une part importante de personnes étrangères et sans emploi. Ils évoquent avant tout des personnes détenues pour des infractions relatives aux biens et aux stupéfiants.

Une population détenue jeune : pour 70% des personnes interrogées, la majorité des détenus a moins de 30 ans, ce qui est en fait le cas de 43 % des détenus au 1er octobre 2018.

Les femmes sont vues à juste titre comme minoritaires en détention. La part des femmes écrouées, en fait 4% au 1er octobre 2018, est toutefois surestimée puisqu’une grande majorité des répondants pensent qu’il y a près d’un tiers de femmes en détention, et que seulement 2% pensent qu’elles représentent moins de 5% des personnes détenues. A  noter que les femmes questionnées imaginent une part plus élevée de femmes en détention que les hommes.

Les personnes interrogées surestiment la part des étrangers dans la population des personnes détenues et ceci d’autant plus que leur niveau d’études est faible. En effet, alors que la part d’étrangers parmi les détenus est de 23% au 1er octobre 2018, 60% des personnes interrogées pensent que c’est plus d’un cinquième des personnes détenues qui sont de nationalité étrangère, et pour 20% ce serait même plus de la moitié des détenus. Ceux qui ont un niveau de diplôme moindre surestiment la proportion de personnes étrangères en prison : ceux qui n’ont pas le baccalauréat (29%) sont deux fois plus nombreux que les BAC+3 et plus (14%) à penser qu’il y a une majorité d’étrangers dans les prisons.

Des personnes détenues qui inspirent la crainte

Les personnes interrogées éprouvent une certaine crainte à l’égard de la population détenue. Quant aux appréhensions qu’ils auraient s’ils venaient à être incarcérés, les violences physiques ou psychologiques des codétenus, l’insécurité, le racket, reviennent dans 30 % des réponses données. C’est donc le fait de côtoyer d’autres personnes détenues qui est le plus craint par les personnes interrogées, plus encore que la condition de personne détenue et la privation de liberté.

De la considération et peu de défiance pour les personnels de surveillance

Bien que l’exercice professionnel du surveillant soit parfois méconnu dans ses réalités quotidiennes, la perception globale qu’en ont les personnes interrogées est homogène : il s’agit d’un métier aux conditions de travail difficiles, qui inspire de la considération.

Quant aux craintes qu’ils auraient à être incarcérés, les Français ne citent les surveillants que pour 2% comme objet de ces craintes.

Pour 9 sur 10 des interrogés, ce métier est un métier de relation humaine, d’ordre et de sécurité, et elles ne souhaitent pas le voir privatisé.

Pour autant, seuls 9% des enquêtés aimeraient effectuer ce travail. 95% le considèrent comme étant dangereux, et quasiment autant déplorent son manque de reconnaissance et de trop faibles effectifs.

Des conditions de détention perçues comme difficiles

Les représentations des conditions de détention regroupent la façon dont les personnes interrogées se représentent les biens auxquels ont accès les personnes détenues, dont ils perçoivent l’occupation des cellules ou encore dont ils envisagent les droits des détenus.

  • Une représentation parcellaire de l’accès aux biens en détention

Les personnes interrogées savent qu’il existe des biens gratuits et des biens payants en prison. Ils ont toutefois tendance à surestimer le champ des biens gratuits et à sous-estimer celui des biens payants.

Par exemple, la gratuité du téléphone fixe est particulièrement surestimée : plus de 40 % des personnes interrogées pensent que les détenus y ont accès sans payer ce qui est faux.

  • Des représentations marquées par la surpopulation et le manque d’intimité

La grande majorité des Français se représentent en effet des prisons sur-occupées. Pour 87 % d’entre eux, la plupart des prisons françaises accueillent plus de personnes détenues qu’elles n’ont de places et 33 % pensent que c’est le cas pour toutes les prisons. La surpopulation est d’ailleurs le premier sujet concernant les prisons françaises cité comme le plus marquant.

Le manque d’intimité du fait de la surpopulation est aussi la troisième crainte de l’incarcération la plus donnée. L’idée d’un lieu sans intimité est d’ailleurs partagée par les deux tiers des personnes interrogées qui se représentent par exemple des toilettes rarement, voire jamais cloisonnés à l’intérieur des cellules.

Une vision faussée des droits des détenus

Si les Français interrogés sont conscients du droit des personnes détenues à pratiquer leur religion et  à accéder à l’assurance maladie, ils ont pour le reste une vision assez déformée des droits en détention.  

Une très large majorité de personnes pense à raison que les détenus ont le droit de pratiquer leur religion (93 %) et ont accès à l’assurance maladie (81%). De même, les personnes interrogées sont bien au fait que les personnes détenues n’ont pas le droit de posséder un téléphone portable (86 %).

Les personnes détenues ont d’autres droits, peu connus par les personnes interrogées.

Par exemple, alors que la majorité des personnes détenues a le droit de vote, seulement 37 % des personnes interrogées pensent qu’ils conservent ce droit de voter.

Au contraire, les personnes interrogées peuvent se représenter certains droits en détention auxquels les détenus n’ont pourtant pas accès, tel le droit d’accès à internet.

Une attitude complexe à l’égard du phénomène de la peine d’incarcération

     En premier lieu la  suppression de la prison n’est pas  envisagée…

Les personnes consultées ne remettent que très peu en cause l’existence de la prison (4%). Les rares personnes qui envisagent sa suppression sont plutôt jeunes et diplômés.

Ainsi, parmi les 18-34 ans, 10% des diplômés de niveau bac+3 ou plus sont favorables à la suppression des prisons. Cette opinion radicale sur le devenir de la prison va de pair, chez les plus jeunes, avec la perception accentuée de difficultés inhérentes à l’administration de la prison.

Au-delà, la plupart des personnes interrogées expriment une volonté de durcir l’application des peines. Trois quarts pensent que les personnes condamnées à perpétuité doivent réellement rester en prison à vie. 80% pensent que certaines infractions ne sont pas assez punies, pour seulement 39% qui pensent que des infractions sont trop punies.

Là encore les plus diplômés sont plus tempérés : les partisans de l’application stricte de la peine sont 61% chez les diplômés au moins bac+3, contre 80% chez les non diplômés.

     … mais le développement des peines alternatives est plébiscité

87 % des personnes interrogées sont favorables au développement de mesures permettant d’exécuter une peine hors de la prison, telles le travail d’intérêt général ou le bracelet électronique. Cette volonté est encore une fois plus forte parmi les plus diplômés.

Et ceci n’est pas incompatible avec l’expression d’une volonté de durcissement puisque parmi les partisans de l’application stricte de la peine à perpétuité, 64% sont en même favorables au développement de mesures hors de la prison.

Ces positions sur l’application des peines (application stricte de la perpétuité – alternative à la prison) varient en fonction des types d’infraction. Les actes cités comme n’étant pas assez sévèrement punis sont principalement les actes à caractère sexuel, alors que ceux cités comme étant trop punis sont les vols et les actes de petite délinquance.

Pour aller plus loin

Exposition à Lyon : Prison, au-delà des murs

Jusqu’au 26 juillet 2020

Quelle est la réalité des prisons aujourd’hui ? L’exposition vous propose une réflexion sur notre système pénitentiaire hérité du 18e siècle. Conçue de manière immersive, elle explicite, par le biais de récits d’anciens détenus mais aussi de représentations de notre imaginaire collectif, le paradoxe selon lequel la prison isole l’individu pour le punir et protéger la société, tout en visant à sa réinsertion. Un parcours parallèle vous invite à explorer, par le théâtre, le quotidien des détenus.

Musée des Confluences
86 quai Perrache, 69002 Lyon – France
(+33) 04 28 38 12 12
 
du mardi au vendredi de 11h à 19h
samedi et dimanche de 10h à 19h
jeudi nocturne jusqu’à 22h

Punir, une passion contemporaine

Punir, une passion contemporaine

Note rédigée par Alain Chalochet

Didier Fassin, né en 1955, est médecin, puis anthropologue et sociologue.
Il est actuellement professeur de Sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’EHES. Après avoir d’abord étudié sur le terrain des questions d’ordre médical en Amérique du Sud ou en Afrique, il s’est tourné vers des questions sociales ou politiques. 
Sa préoccupation première porte sur les dimensions politiques de la santé (il étudie le Sida au Congo, la santé maternelle en Equateur, le saturnisme infantile en France). Les inégalités sont centrales dans ses réflexions, qu’elles soient présentes dans le domaine de la santé, puis dans la vie sociale (les politiques de la vie et comment on traite les êtres humains), ou dans le champ de la justice.
Etudiant des questions morales qui prêtent à discussions, il cherche à replacer les évidences apparentes dans l’histoire en recherchant leurs ressorts politiques sous-jacents (travail sur la généalogie de la catégorie de victime par exemple). Sa démarche est le plus souvent fondée sur un principe : ne pas s’arrêter – comme on s’en contente trop souvent – aux évidences du monde social. Celles-ci sont souvent fausses et il est préférable de reprendre une certaine distance, cette distance que permet un travail empirique mené sur le terrain en contact avec les acteurs de ce terrain.
Sa démarche allie donc toujours étude de terrain et réflexions mêlant le droit, la sociologie et la philosophie. C’est le cas notamment dans l’ouvrage étudié ici.
Ses études sur la police, la justice et la prison s’attachent à chercher la dimension répressive du traitement des personnes vulnérables. Ses livres « La force de l’ordre » (2011) sur la police dans les quartiers populaires, et « L’Ombre du monde » (2017) sur la condition carcérale sont à ce titre, particulièrement significatifs. Présentant l’étude des pratiques des intervenants, ils font apparaitre que ces pratiques ne sont pas toujours conformes aux discours établis.
Le livre « Punir, une passion contemporaine » réfléchit à partir de ces constats, aux « fondements de l’acte de punir » en alliant réflexion juridique, sociologique et philosophique. Il est issu de conférences données par D.Fassin à l’Université de Berkeley et qu’il a reprises ensuite pour fournir la matière de ce livre.

Constats

Le livre s’ouvre sur un constat : le nombre de détenus emprisonnés ne cesse d’augmenter : 20 000 en 1955, 43 000 en 1985, près de 70 000 en 2015[1]. Le lecteur peut même compléter avec le nombre actuel : 71 828 au 1er Avril 2019[2].

Peut-on dire que ce phénomène est consécutif à une augmentation de la criminalité ? Ça n’est pas le cas, puisque celle-ci a tendance à régresser notamment dans ses manifestations les plus graves.

Sur ce point précis, il faut noter que si l’auteur donne certes ses références qui sont objectives, on sait bien que ce constat n’est pas partagé par nombre de nos concitoyens, ce qui explique en bonne part la réussite du populisme pénal dont nous parle l’auteur par ailleurs. D’où la nécessité de travailler l’argumentation pour la faire mieux entendre qu’elle ne l’est souvent.

Quant à l’augmentation du nombre de détenus qui, elle, est incontestée, et s’appuie sur les statistiques du Ministère de la Justice, on la constate aussi dans de très nombreux pays et elle semble bien aujourd’hui constituer la règle.

En fait, l’auteur nous l’explique : nous sommes actuellement dans un « moment punitif »[3]  encouragé par une sorte de populisme pénal très en vogue reposant sur la conjonction d’une sensibilité accrue aux incivilités et délits de la vie courante, et d’un discours politique très axé sur les enjeux de sécurité. Si l’on comprend bien le sens général de la formule et si on en ressent la validité, on regrettera que cette notion de populisme ne soit creusée plus avant, quant à ses ressorts profonds, compte tenu du fossé qu’elle contribue à établir entre la compréhension populaire majoritaire de la question pénale et celle qui peut résulter de ce livre par exemple.

Le châtiment voulait être la solution au problème suscité par la criminalité. Or on peut dire que, de solution, il est devenu maintenant le problème. Problème, « il l’est à cause du nombre d’individus qu’il met à l’écart ou place sous surveillance, à cause du prix qu’il fait payer à leurs familles et leurs communautés, à cause du coût économique et humain qu’il entraine pour la collectivité, à cause de la production et la reproduction d’inégalités qu’il favorise, à cause de l’accroissement de la criminalité et de l’insécurité qu’il génère, à cause enfin de la perte de légitimité qui résulte de son application discriminatoire ou arbitraire. »[4] 

C’est cela qui amène l’auteur – après avoir étudié la question sous la forme d’études sur la police, la justice, la prison – à vouloir cette fois y réfléchir de manière théorique  en se préoccupant maintenant « des fondements de l’acte de punir ».

Il procède donc à l’examen de trois questions : Qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ?, qui seront examinés dans le domaine de la justice institutionnelle, mais aussi dans ceux de la police et du pénitentiaire.

Qu’est-ce que punir ?

D.Fassin part de la définition – généralement reconnue par les juristes et les philosophes – donnée du châtiment en 1959 par un juriste et philosophe anglais H.L.A. Hart : « Il doit impliquer une souffrance ou d’autres conséquences normalement considérées comme désagréables ; il doit répondre à une infraction contre des règles légales ; il doit s’appliquer à l’auteur réel ou supposé de cette infraction ; il doit être administré intentionnellement par des êtres humains autres que le contrevenant ; il doit être imposé par une autorité instituée par le système légal contre lequel l’infraction a été commise. »[5] 

Il va ensuite s’appliquer à vérifier si aujourd’hui ces 5 critères sont bien présents et respectés dans la réalité des faits, ceci à partir d’exemples divers qu’il explicite et qui sont tirés de ses observations de terrain. On s’aperçoit là que les choses sont beaucoup moins claires dans les faits réels que dans la théorie, et que même les intervenants, policiers, juges, ne perçoivent pas cet écart facilement, même en toute bonne foi. Par exemple, des questions sont vite soulevées, comme celle de la frontière entre punition et vengeance par exemple, ou celle de la réalité d’une équivalence du dommage causé et de la douleur infligée en retour.

Sa conclusion au terme de cet examen de la présence dans les faits des critères de LLA Hart : un seul critère peut être considéré comme toujours présent : celui de la souffrance infligée. D.Fassin note au passage que cette souffrance imposée est un fait relativement nouveau historiquement, qui a succédé à la loi du talion d’abord, puis à celle de dette due à la victime et à la société, et que cette souffrance imposée est lié à la moralisation inspirée par le christianisme. 

Cela le conduit à poser la question sous une autre forme : « Pourquoi punit-on ? ».

Pourquoi punit-on ?

La théorie du droit distingue la définition du châtiment (qui se veut neutre quant aux valeurs) et la justification de celui-ci (qui implique un jugement moral). Dans la réalité, il parait bien difficile de s’en tenir à une distinction claire, d’autant que l’on pourrait distinguer la justification théorique posée par la loi, et la justification concrète a posteriori, celle du juge ou du policier, et pourquoi pas ensuite celle de l’observateur extérieur.

Quant à la théorie, ou plutôt les théories de la justification de la punition, puisqu’il en existe deux : une utilitariste, qui ne veut voir pris en compte dans le choix du châtiment que l’intérêt de la société et qui est donc tournée vers l’avenir, et l’autre rétributiviste, qui reste polarisée sur l’acte commis et sa juste rétribution, et qui s’en tient au passé.

La première vise à, soit empêcher l’auteur de commettre son acte, soit à le réformer en favorisant sa transformation, ou encore à offrir avec la peine un exemple tel qu’il puisse dissuader d’autres de le commettre. 

La seconde, apparait simple dans ses objectifs, elle ne vise qu’à faire souffrir celui qui est coupable. Pour Kant par exemple : «  La peine juridique ne peut jamais être considérée simplement comme un moyen de réaliser un autre bien, soit pour le criminel lui-même, soit pour la société civile, mais doit uniquement lui être infligée pour la seule raison qu’il a commis un crime »[6] . En cela, elle ne suppose qu’une appréciation interne de sa cohérence morale, puisqu’il ne s’agit que de choisir un mal équivalent à l’acte commis.

D .Fassin nous explique que ces deux théories apparemment inconciliables, sont souvent mêlées même dans la théorie et que par exemple, même les promoteurs du populisme pénal invoquent à la fois le caractère dissuasif et la sanction méritée.

Pour ce qui le concerne, sa conclusion sur ce point est finalement celle de Nietzsche « Il est impossible de dire aujourd’hui précisément pourquoi l’on punit »[7].

Les exemples vécus qu’il cite ensuite, visent bien à montrer que les décisions de justice sont plus complexes, et qu’il faudrait en fait examiner ce que leurs auteurs pensent avoir pris en compte et ce que l’on serait tenté de penser qu’ils ont en réalité pris en compte.

Et plus loin encore, ne constate-t-on pas que le châtiment ne procède pas autant que l’on veut le penser d’une logique rationnelle ? N’y a-t-il pas derrière, bien cachées, d’autres aspirations moins honorables. Le pas ne risque-t-il pas d’être vite franchi entre l’affirmation de Simone Weil (qui n’est pas citée là par D.Fassin) « Comme on dit de l’apprenti qui s’est blessé que le métier lui entre dans le corps, de même le châtiment est une méthode pour faire entrer la justice dans l’âme du criminel par la souffrance de la chair »[8]  et certaines conduites (dérivées ou non du désir de vengeance) qui conduisent à la volonté de faire souffrir à laquelle Nietzsche (cité lui par l’auteur) se réfère lorsqu’il parle  de « la volupté de faire le mal pour le plaisir de le faire » [9].

Qui punit-on ?

Mais tout ceci est moins impartial et juste que les théories philosophiques et le droit ne veulent bien le dire, et on s’en aperçoit en regardant de plus près la manière dont la loi s’applique.

Très vite la question se confond avec une autre : Que punit-on ? D. Fassin rejoint là E.Durkheim qui remarquait : « il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune ».

L’auteur recourt là largement à ses études antérieures menées sur le fonctionnement de la police et de la justice et il relève qu’en effet la sanction ne se déploie pas uniformément dans le champ social, et que les populations défavorisées se trouvent en final plus pénalisées que les autres. Cela ne repose pas sur un plan murement réfléchi du législateur, mais sur le choix effectif des faits qu’il va décider de punir. Ceux-ci sont de plus en plus souvent ceux qu’une population défavorisée vivant dans des conditions difficiles, exposée par son âge, son contexte de vie, sa situation au regard de l’emploi, de la vie sociale, est exposée à commettre.  S’y ajoute aussi le fait que l’attitude du juge lors de sa prise de décision variera selon les garanties matérielles présentées par l’auteur de l’acte.

Le résultat est bien là en tout cas et nombre de situations rencontrées le démontrent,  ce sont bien ces populations qui sont à risque effectif de faire l’objet de poursuites et d’enchainement péjoratifs. Bien au contraire on note la rareté des poursuites et la faiblesse des sanctions en cas de délinquance économique et financière. On ajoutera d’ailleurs, même si l’auteur ne le mentionne pas, la possibilité offerte de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui constitue clairement un privilège qui ne peut profiter qu’à des personnes appartenant à une catégorie sociale favorisée dans son statut social, ses connaissances, et plus proche de tous les types de pouvoir.

En conclusion

Voilà un ouvrage qui n’hésite pas à prendre de face une fausse évidence bien établie ; qui met en discussion une question sur laquelle nous vivons sans manifester aucun esprit critique, et sur laquelle nous acceptons d’être entretenus dans une sorte d’aveuglement. Les prisons sont surpeuplées : la solution est donc d’en construire de nouvelles. Seul vrai sujet de controverse : combien de places supplémentaires faut-il construire ?

Et nos acteurs politiques de donner des chiffres à la mesure du souci qu’ils veulent afficher de la sécurité de leurs concitoyens….

Et pourtant, cette conception du châtiment n’en arrive-t-elle pas à menacer l’ordre social ? «  Censé protéger la société du crime, le châtiment apparait de plus en plus comme ce qui la menace »[10] . Le coût de l’incarcération dans différents registres humain, social, économique, tel qu’il est cité plus haut (supra p.4) devrait à lui seul faire réfléchir.

Des voix se sont déjà élevées, ont émis l’idée que d’autres formes de sanction étaient possibles pour certains actes moins graves, ou que d’autres formes d’accompagnement des auteurs étaient possibles ; mais leur portée est restée bien limitée.

Voici donc un document fondé à la fois sur des faits et des expériences, mais aussi sur une réflexion alliant droit, sociologie et philosophie. C’est dans son caractère d’ouvrage étayant une vraie réflexion en profondeur sur des constats effectués sur le terrain que réside la vraie nouveauté, et c’est cette caractéristique qui dû lui donner un impact nouveau.

Force est de constater deux années après sa parution que le chemin qui permettra de « repenser le châtiment »[11]  reste à parcourir.

Le lecteur se pose au terme de la lecture une interrogation primordiale : que faut-il pour que ces réflexions soient entendues pour donner lieu enfin à un questionnement démocratique salutaire sur une question de cette importance ?

On mentionnera un petit regret qui ne remet nullement en cause l’intérêt majeur de cet ouvrage, celui que n’y soient pas abordées les alternatives possibles à la détention proposées depuis assez peu de temps par la législation, et qui sont en voie de développement – certes timide -, même si on sait que ça n’était pas l’objectif premier de l’auteur, qui est sociologue et anthropologue et non spécialiste de criminologie.


[1] Page 9

[2] Données Ministère de la Justice

[3] Page 15

[4] Page 16

[5] Page 43

[6] Page 88

[7] Page 93

[8] page 24 L’enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain S.Weil 1943

[9] Page 106

[10] Page 16

[11] Titre de la conclusion de l’auteur page 153

L’UHSA francilienne Paul Guiraud

L’UHSA francilienne Paul Guiraud

Note rédigée par Vincent Feroldi

Il existe un programme de construction de 17 UHSA à terme sur l’ensemble du territoire français. Une première tranche de 9 est programmée, dont 6 sont aujourd’hui en fonctionnement :

L’UHSA francilienne a vu le jour le 25 avril 2013. Elle est la cinquième unité ouverte en France. Au delà de la mission propre au SMPR de Fresnes qui concerne quelques établissements pénitentiaires seulement du Val de Marne et de Seine Saint Denis, l’UHSA de Paul Guiraud a pour mission d’accueillir des patients mais aussi des patientes, dès l’âge de 16 ans provenant de touts les établissements pénitentiaires d’Ile de France qui représentent son territoire de santé.

Installée sur le site de l’hôpital Paul Guiraud à Villejuif, cet établissement offre une capacité de 60 lits mixtes répartis en trois unités distinctes de 20 lits.

  • Unité 1 : Accueil des hospitalisations sous contrainte : Tableaux aigus, clinique de la crise avec problème de comportements nécessitant des locaux adaptés.
  • Unité 2  : Accueil des hospitalisations avec consentement.
  • Unité 3 : Réservée aux patients en voie de stabilisation dont l’état n’est pas encore compatible avec la détention.

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